Objets sans histoire : l’absence en héritage dans Great House de Nicole Krauss

Auteurs

Mots-clés :

Shoah, trauma, postmémoire, psychanalyse

Résumé

Réfractaire à toute tentative de catégorisation, Great House (2010) de Nicole Krauss constitue une contribution inédite à l’abondante littérature de la Shoah, aujourd’hui de plus en plus centrée sur ce que l’on a appelé « la post-mémoire » (Mariane Hirsch), à savoir l’expérience de générations désormais à distance de la tragédie mais encore profondément marquées. Roman élégiaque et kaléidoscopique, écrit sur le mode de la fragmentation et de l’exil, Great House balaie trois continents et plus d’un demi-siècle. Le récit, polyphonique, met en scène des personnages vulnérables et introvertis, criblés de regrets et de doutes, rongés par d’obscures culpabilités, dont les monologues, à première vue disjoints, se révèlent reliés par un objet mystérieux, réceptacle d’autant de légendes que d’inavouables secrets : un bureau, tout à la fois massif, branlant et biscornu, étrangement agencé car pourvu de dix-neuf tiroirs dont un fermé à clé. Arraché par la Shoah à ses propriétaires d’origine et désormais rétif à toute assignation à résidence ou appropriation définitive, ce meuble a transité et de mains en mains et de continent en continent, constituant pour certains personnages un bien inaliénable, pour d’autres un fardeau dont il importe de se débarrasser au plus vite. Seront tour à tour étudiés les enjeux esthétiques et éthiques de la structure narrative du roman, le symbolisme ambigu du bureau et sa fonction métafictionnelle. En s’affirmant avec Great House comme « témoin par l’imagination » (Lillian Kremer) et en choisissant de meubler de la sorte sa « maison d’écriture » (« House of Fiction »), Nicole Krauss nous propose une réflexion tout à la fois sensible et nuancée sur le rôle de l’objet dans le processus de transmission de la mémoire individuelle ou collective ; elle s’interroge dans le même temps sur les modalités d’une hypothétique et fragile rédemption pour les générations héritières du traumatisme.

Biographie de l'auteur

Paule Lévy, Université Paris-Saclay

Paule Lévy est Professeur émérite de littérature américaine à l’Université Paris-Saclay. Sa recherche porte sur les écritures de l’ethnicité, la littérature juive américaine, l’écriture féminine et l’autobiographie. Elle est l’auteur de deux monographies : Figures de l’artiste : identité et écriture dans la littérature juive américaine (PU Bordeaux, 2006) et American Pastoral de Philip Roth: La Vie réinventée (PUF, 2012). Elle a par ailleurs dirigé ou codirigé divers volumes collectifs : Profils Américains: Philip Roth (PU Montpellier, 2002), Ecritures contemporaines de la différence (RFEA, 2003), Mémoires d’Amérique (Houdiard, 2009), Autour de Saul Bellow (PU d’Angers, 2010), American Pastoral de Philip Roth (PU de Rennes, 2011) ainsi qu’un numéro spécial sur Grace Paley (Journal of the Short Story in English, 2015) et un autre sur Philip Roth (Revue Française d’Etudes Américaines, 2021). Elle contribue à la publication de l’œuvre de Philip Roth (volumes 1, 2, 3) aux Editions de La Pléiade.

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Publiée

2025-01-17

Comment citer

Lévy, P. (2025). Objets sans histoire : l’absence en héritage dans Great House de Nicole Krauss . Leaves, 10(19). Consulté à l’adresse https://revues.u-bordeaux-montaigne.fr/leaves/article/view/559