
Depuis son invention en 1839, la photographie nourrit la controverse qui oppose authenticité et soupçon en raison de sa position ambiguë entre science et surnaturel. A l’époque victorienne, la photo a été saluée pour sa capacité à révéler ce qui jusque-là relevait de l’invisible, modifiant ainsi les notions de preuve et de vérité. La photo a eu aussi une influence importante sur la production littéraire, en particulier sur le développement du réalisme puis du roman policier. Selon Walter Benjamin, l’émergence du roman policier est liée à l’apparition de la criminologie moderne et à l’invention de l’appareil photo, lequel est devenu un instrument essentiel à l’analyse médico-légale. Sherlock Holmes, le célèbre détective de Conan Doyle, est devenu l’incarnation du nouveau médium avec sa capacité visuelle exceptionnelle. Dans le même temps, cependant, la photographie a été perçue aussi comme un phénomène étrange, associé à l’occulte et au surnaturel, et elle a commencé à figurer en bonne place dans les romans à suspense. Dans The Camera Fiend de E. W. Hornung (1911), par exemple, le soupçon est associé au personnage du photographe obsédé par l’idée de saisir une image de l’âme humaine. Si le double rôle de la photo, à la fois dans la science médico-légale et dans le mouvement spiritualiste, peut sembler problématique (puisque dans un cas il s’agit de révéler la vérité, dans l’autre de la dissimuler), c’est cette ambiguïté même qui fait de la photo un medium lié au soupçon, et qui fournit un contexte idéal à l’appréhension des angoisses profondes de l’ère victorienne.