Transmettre (dans) la Caraïbe : Continuités, ruptures, passages et expériences
Discontinuités de la transmission transatlantique
Transmettre : cette activité humaine, souvent relayée par la pratique artistique, suggère une continuité, voire une permanence, qui semblent vouées à bien mal s’accommoder des réalités historique et géographique de cet espace « discontinu » qu’est la Caraïbe.1 Dévastée par la colonisation et par l’économie intensive de plantation, décimée puis « repeuplée » par la traite esclavagiste puis engagiste, tiraillée par une autre violence, celle de la tectonique des plaques, zone archipélique et éclatée non seulement en îles, mais aussi dans une large mesure en langues, et en cultures, la Caraïbe est un laboratoire précoce des ruptures qu’Appadurai repérait à la fin du vingtième siècle comme constitutive de la mondialisation (1998, 9). La culture créolisée des Caraïbes peut se définir comme la recombinaison d’éléments épars, comme une reconfiguration de savoirs et de pratiques qui se fait à cent lieues de toute patrimonialisation, dans le sens européen de ce dernier terme. Dans la tradition littéraire caribéenne, les narrations non linéaires caractéristiques du post-modernisme sont monnaie courante et ont, en même temps, d’autres causes. Leur transgression de la flèche du temps « chronologique » est la conséquence d’un passé qui ne peut pas ne pas faire retour, après avoir été effacé, passé sous silence, ou raconté du seul point de vue des oppresseurs.
De ce point de vue, la nouveauté, l’originalité, la création spontanée, et donc, la résistance à toute forme de transmission, ont pu être vues comme amplement préférables, poétiquement comme politiquement, à toute inscription dans une filiation. La transmission repose par ailleurs sur un principe de continuité qui semble incompatible avec les métissages dont la Caraïbe est le creuset incessant depuis les premières dévastations et déprédations, initiées avec l’arrivée des caravelles de Colomb dans l’archipel. S’ensuivent des processus de sélection, d’oubli, et de transformations qui ont fait de la Caraïbe une matrice entropique et poly-rythmique (Benítez-Rojo). La transmission, dans la zone caribéenne, requiert ainsi une lecture au prisme de la discontinuité foucaldienne, définie notamment2 comme suit :
À la discontinuité des choses vues par fragments répétés se substitue la continuité d’un sujet que son présent déverse sans cesse hors de lui-même, mais qui circule sans heurt dans sa propre épaisseur dispersée. À travers les changements de chronologie, d’échelle, de personnages, une identité se maintient par où les choses communiquent. (Foucault 2001, 505)
Cette citation nous permet d’articuler une fragmentation factuelle, historique autant que géographique, dans la zone caribéenne, avec des formes de continuité qui, paradoxalement, se font le lieu de la dissolution des identités stables qu’on constate dans ces zones où les stéréotypes (« raciaux », sociaux, genrés) ont été démantelés très tôt. L’épaisseur, les « changements de chronologie, d’échelle, de personnages » : voici qui conditionne une continuité repensée, et reconfigurée par de nombreuses démarches esthétiques.
Repérer des lignées, des moments, des modes ou encore des espaces de transmission est un défi d’autant plus grand dans la sphère des arts et des littératures caribéens que leur naissance même, en pleine réflexion sur les Indépendances, fut l’occasion d’une réinvention de soi qui par définition excluait toute continuité politique et culturelle (Rosenberg). Pourtant, la notion de transmission prend en compte une tradition trop souvent déniée aux cultures de l’Atlantique Noir (Gilroy) et dont la critique a récemment retracé la mémorialisation active (Bernier et Newman ; Lovejoy ; Oldfield ; Oostindie), voire obsessionnelle,3 que Glissant nomme, comme le rappelle Corinne Bigot, « passion de mémoire » (Glissant 82).
Le génocide amérindien puis la déportation transatlantique ont pu orienter les artistes vers le rêve adamique d’une fondation originelle ; Derek Walcott parlait bien de ce désir dans le long poème autobiographique, Another Life, dans lequel il retrace son désir d’écriture :
For no one had yet written of this landscape
That it was possible, that there were sounds
Given to its varieties of wood (Walcott 1986, 195)
Emmenant son lecteur vers un futur dont les contours seraient dessinés par les « sons » naturels, pré-saussuriens, d’une région qui opposerait sa genèse à une Europe accablée par son passé infâme et trop lourd, le poète pose une « possibilité » contre tout héritage. À cet égard, la citation fait écho au magnifique titre choisi par Catherine Pélage pour l’entretien que lui a accordé l’écrivain et performeur dominicain Rey Andújar : « La culture des Caraïbes est la possibilité de l’impossible ». Pourtant, et précisément, les deux articles réunis ici et qui sont consacrés à Derek Walcott (Jégou et Doudin) tendent à montrer combien son art est une combinatoire intertextuelle qui renouvelle et corrobore en même temps les dialectiques postcoloniales entre nouveauté et ancienneté. Marco Doudin jette une lumière bienvenue sur les auteurs latins de la « bibliothèque » du Saint-Lucien et Corentin Jégou construit une réflexion sur les détours de la mémorialisation, qui en passe par des déplacements et recombinaisons linguistiques et poétiques travaillant contre une lignée patrimoniale définie par Engels comme pensée par la structure du capital économique.
Complexe partout et de tout temps, le sujet de la transmission ne va particulièrement pas de soi, dans une perspective transatlantique moderne. La mémoire, l’héritage, sont pris dans une dialectique douloureuse du trauma, de ses retours, et de ses parades. Pratique collective, à quelque échelle que ce soit, la transmission impose sa propre re-définition dans des sociétés où les formes de vie sociale ont été placées sous le signe du contrôle des corps et de la violence, réelle et symbolique, de la production plantationnaire (Hulme 1986, 1992, 2000). La structuration de la transmission doit être repensée de manière radicalement non linéaire, et incluant la transmission de ruptures et discontinuités, comme le montre Ahmed Mulla au sujet du premier roman de Kei Miller, The Same Earth. Ou peut-être faut-il à l’inverse voir la rupture de la transmission comme « chance de créolisation », ainsi que l’écrit très justement William Rolle dans un article consacré au groupe de conquistes martiniquais Watabwi.
Il nous a semblé utile et à propos, d’un point de vue théorique, de revenir sur les questions de créolisation, de réécritures, des modes d’interpellation du lecteur/spectateur, qui caractérisent les cultures de la Caraïbe, à l’heure de la mondialisation, et d’une transmission devenue multi-directionnelle un peu partout. Examiner la fabrique d’œuvres où se pose la question de la transmission est une manière pour nous de penser la discontinuité foucaldienne comme processus de transformation, non comme régime de négation. Les modes discursifs nouveaux ne se font l’instrument d’une rupture « radicale » qu’en opérant par ailleurs un relais rhyzomatique. L’archipel, qui inscrit une dialectique entre continuité et discontinuité dans un espace singulier, se lit donc comme espace de transferts complexes (Shalini). La réactivation herméneutique du sens ne se fait pas sans adossement à un paysage précis, même si ce paysage est en constante évolution.
Les lieux de la transmission : dérivations
Si le sujet de la transmission peut de longue date sembler incongru, voire provocateur, dans la zone caribéenne, il est récemment mis en crise partout dans un monde désormais transnational où la notion de fluidité des identités semble avoir fait voler en éclats toute possibilité de legs stable, et d’espace circonscrit. À une heure où la planète, affolée peut-être par l’accélération des migrations qui caractérisent la fin du vingtième siècle et le début du vingt-et-unième, se précipite sur la nouvelle technologie des tests ADN à prix modérés, il nous a semblé à propos de repenser la Caraïbe en termes à la fois de retour aux sources et de matrice diasporique. Plutôt que de revenir à un essentialisme qui a fait son temps, ou de chercher illusoirement à remonter le temps, il est possible de repérer des espaces correspondant à des boucles de passé, à des périodes de silence – ainsi, un certain nombre des articles de ce numéro envisagent la pratique artistique comme une manière d’habiter le monde, et ainsi, de reprendre son temps. La diachronicité emblématique d’un rapport postcolonial à l’Histoire n’est pas tant la représentation d’une discontinuité, qu’une circulation, ou qu’une navigation (Rice). En résulte une patrimonialisation qui fonctionne à l’encontre de toute fixité, comme un détour glissantien dans l’espace, y compris celui de la page, de la scène, de la tapisserie. On peut citer l’œuvre, comme exemple de ces incarnations dans l’espace transmissionnel, des performances de Rita Indiana, analysées par Catherine Pélage comme une forme d’« irruption », « l’urgence d’une expression artistique », propre à incarner l’expérience de la transculturation. Catherine Pélage montre de façon novatrice comment ces performances, qui campent un présent apparemment indépassable, mènent à la conceptualisation d’une « transmission infinie » apte à transgresser les frontières géographiques et à avoir lieu dans un espace de dévastation présente et future, mais aussi de production de sens multi-directionnelle. De la même manière, Rey Andújar, dans l’entretien qu’il accorde à Catherine Pélage, décrit Chicago, où il vit, comme son atelier – un atelier qui contient vraisemblablement la République Dominicaine, où il a grandi, Porto Rico, où il a fait ses études, mais aussi l’ensemble du continent américain, où résonne son œuvre (son roman Candela venant par exemple d’être re-publié à Buenos Aires, chez Corregidor).
Le déplacement apparaît alors comme le moyen de « s’exposer à d’autres formes de transmission », pour le dire avec Ahmed Mulla. Polysémique, la transmission désigne dans la Caraïbe des phénomènes qui nous permettent de revenir à l’étymologie du mot, laquelle dit à la fois le passage (trans) et l’envoi (mittere). Pour emprunter son titre romanesque à Shani Mootoo, l’histoire « avance de côté, comme un crabe », dans des espaces dévastés par la violence coloniale, l’appropriation des terres, l’exploitation des hommes, et par le génocide des populations pré-colombiennes. La transmission est donc un site privilégié où observer la confiscation européenne, et le retour opéré par le post-structuralisme, retour vers des transmissions souterraines, silencieuses, résistantes, discontinues, ou opérées sur tous les modes mineurs.
A resurgi récemment la nécessité de mettre au premier plan les discontinuités historiques, les conversations subculturelles, les fertilisations croisées qui rendent plausible la notion d’une culture noire distincte et consciente de son existence. Dans la lignée des travaux de Pierre Nora sur les lieux de mémoire, Jacques de Cauna envisage, dans le cas de la Citadelle Laferrière, en Haïti, « la menace d’une réduction à des sites livrés aux commémorations ». À rebours de ce désir de stabilité, de permanence, la Caraïbe s’est construite dans un mouvement vers un espace futur, seul horizon possible quand on est aux prises avec la violence coloniale et la déshumanisation esclavagiste. Cette opposition est exprimée, sur le mode satirique, dans Omeros, dont Corentin Jégou montre que le personnage du Major Plunkett, tout à ses arbres généalogiques, manque la signification écologique des arbres qui pointent encore, à Sainte-Lucie, vers des détours, entre adultération, traductions et dislocations.
Dans la perspective d’une re-définition du « patrimoine », certains articles posent ici la question d’une transmission genrée, matrimoniale. C’est le cas de la réflexion de Carline Encarnación sur Tar Baby, ainsi que de Marie Estripeaut-Bourjac sur une thérapie réalisée par les femmes d’un village colombien victime des exactions d’une longue guerre civile qui n’a pas dit son nom. On voit dans ces deux textes comment une réflexion sur ce que l’on garde tient en grande partie à la manière dont on regarde, et donc, à des questions genrées travaillant contre le « regard masculin ». À rebours d’une certaine essentialisation de la femme du côté de la nature (contre la culture), de la stase (contre le mouvement), du corps (contre l’esprit), ces deux textes pensent une transmission féminine qui instaure un ordre symbolique, contre le désordre paradoxal du contrôle des corps. Quant à Corinne Bigot, son article sur Austin Clarke entreprend de montrer comment le mémoire culinaire caribéen est une manière d’écrire l’Histoire de la région « du point de vue du corps », en scrutant l’inventivité des cuisinières ayant permis aux corps exploités de tenir, de résister, de survivre. Elle campe une conception du « corps mémoire » qui permet de poser les identités comme interchangeables, puisque c’est un auteur masculin qui reprend cette lignée – sans se l’approprier, mais en s’y inscrivant, matériellement, littéralement, littérairement et symboliquement.
Ce sont également les migrations incessantes qui caractérisent la région qui font des cultures caribéennes un état des lieux impossible, et l’espace d’un échange infini. Manuel Norvat inscrit ainsi ses hypothèses de lecture d’une littérature « migrante » comme représentant et opérant un « décentrement de soi » dont la Caraïbe propose un modèle fécond et séminal pour ces textes diasporiques qui sont en passe de devenir non plus l’exception mais la norme constatée (Brah, Chariandy, Cohen) – surtout dans les sphères des « anciennes » langues coloniales que sont anglais, français et espagnol. Comme d’autres articles, et notamment celui que Corinne Bigot consacre au mémoire culinaire d’Austin Clarke (écrivain barbadien-canadien), et celui qu’Ahmed Mulla consacre à un roman qui met en scène un personnage principal émigré au Royaume-Uni, il suggère que l’exil devient dans la Caraïbe un mode paradoxal, mais crucial, de transmission. Ces réflexions sont reprises, différemment, par Corentin Jégou à la lumière de la dérivation proposée par Gilroy entre roots et routes, les racines et les routes. Son travail sur la poésie de Walcott pose la transmission comme une « expérience de la périphérie ». De fait, les douze textes qui composent ce numéro abordent la transmission comme une pratique, une expérience, un rapport au monde où, plus que le résultat, compte la phénoménalité en cours. Ils peuvent d’une certaine manière tous illustrer ce qu’Emilia Durán, convoquée par Catherine Pélage, dit de la performance : « une démarche liée à la migration : l’expression d’un être qui, par sa prise de risque et sa présence corporelle, incarne la transculturation ».
Transmissions à l’œuvre : expériences, contingences, immanences
Les discontinuités caribéennes sont constatées dans la transdisciplinarité qui travaille ce numéro, ainsi que dans les œuvres dont il est question. Sont étudiées ici diverses formes de la littérature de l’aire caribéenne (roman, nouvelles, poésie, théâtre, performances, essais, (auto)-biographies), formes d’écriture dont le grand défi consiste à savoir transcrire l’oralité et la circulation de la parole comme modes de connaissance. Mylène Danglades analyse le rôle de l’oralité dans la transmission, pointant du doigt cette spécificité caribéenne qu’est la permanence des contes, la résurgence des chansons, la créativité des traditions musicales. Cette tradition rejoue l’expérience des contes narrés le soir, devant la cour qui « ne dort pas », selon le rituel hérité des temps de l’esclavage. Pour sa part, Corentin Jégou repense l’oralité à l’aune de sa réécriture épique par Derek Walcott. Sont également incluses des contributions s’intéressant au domaine des arts (Marie Estripeaut-Bourjac sur la tapisserie ; William Rolle et Catherine Pélage sur la musique, et dans le cas de Rolle, sur les rapports entre photographie et musique), des cultures domestiques (Corinne Bigot sur la cuisine), mais également aux champs de l’histoire et de la géographie (Jacques de Cauna sur la Révolution Haïtienne et les premiers temps de l’Indépendance de la première République noire du monde).
Interroger les modes de la transmission revient à en scruter les « gestes », pour reprendre une catégorie déployée par Bigot, terme que Marie Estripeaut-Bourjac décline au féminin en parlant de « la geste » des tapisseries de Mampuján. Les possibilités du transmettre, ainsi que sa légitimité, sont indissociables d’une expérience physique, phénoménologique, contingente. C’est également en ce sens que des penseurs de la Caraïbe francophone avancent l’idée d’une « esthétique de la relation » (Glissant) privilégiant le lien du rhizome, par opposition à la racine. Les sciences sociales, dans la Caraïbe hispanophone, francophone et anglophone, s’intéressent ainsi aux savoirs informels, « alternatifs », qui ne rentrent pas dans les champs existants de la recherche universitaire mais mettent en relation des individus, des familles, des sociétés. La transmission de ces savoirs également nommés « multiples » interroge ainsi la conception d’une forme unique de la raison et de son universalisme, et l’invite à un dialogue horizontal (Múnera et al, 2018). L’article de Carline Encarnación sur Tar Baby dégage ainsi un espace mis à distance et pourtant paradoxalement une Caraïbe « transitionnelle et transactionnelle » de par les possibilités narratologiques offertes par la présence d’une oralité contée très riche, et livrée à d’infinies reprises, y compris romancées.
L’ordre de l’expérience et l’ordre du savoir se réarticulent afin de redéfinir le concept d’héritage. Certains articles posent bien la question centrale des objets (Rolle, Estripeaut-Bourjac), des gestes de la vie quotidienne (Bigot), voire des archives lacunaires (de Cauna, Encarnación), de la transmission. Le concept de transmission entraîne en effet dans son sillage toute une histoire matérielle (instruments de musique, lettres, costumes de Carnaval ou encore ces traces matérielles, pièces de monnaie et fragments de poterie que le Major Plunkett cherche dans le sol de Sainte-Lucie, dans l’Omeros de Walcott). Toute matérialisation capitaliste et marchande de la transmission est battue en brèche par les sciences sociales qui, dans la Caraïbe, s’intéressent aux savoirs informels, « alternatifs », qui ne rentrent pas toujours dans les champs existants de la recherche universitaire. La transmission de ces savoirs également nommés « multiples » interroge ainsi la conception d’une forme unique de la raison et de son universalisme et l’invite à un dialogue horizontal (Gómez Obando et al). Ce dialogue est aussi une forme précieuse de dissensus, d’asymétrie discursive, de dissonance. Le travail de Ahmed Mulla sur Kei Miller mène à des conclusions convaincantes quant à la manière dont l’expérience « refaçonne » la tradition aliénante transmise par la culture majoritaire jamaïcaine, qui fait continuité avec l’ère coloniale et s’adosse à l’ignorance volontairement maintenue du peuple. S’appuyant judicieusement sur les textes du critique Stuart Hall, Mulla ménage une transmission littéraire qui en passe par la transgression, la marginalité, la résistance.
C’est en tant que processus, plus qu’en tant que production, que la transmission peut être conçue comme renouvellement et réagencement. Non hiérarchique, encore moins hégémonique, cette transmission en cours, et en expérimentation, abolit l’asymétrie entre sujet transmettant et sujet apprenant, et la remplace par une circulation aléatoire qui se fait au moment de l’expérience. La transmission dont nous proposons ici un panorama certes provisoire et parcellaire est un passage culturel qui trouve sa validité au moment même de sa constitution, et qui est vouée à poursuivre ses schémas uniquement à condition de les remettre en jeu. Nous ne prétendons pas réduire la difficulté posée par les phénomènes de transmission, même réinventés, dans un espace encore empreint de la dévastation physique, écologique et mémorielle provoquée par la colonisation, mais nous espérons que ce numéro s’inscrira dans les avancées épistémiques, décoloniales, transculturelles, qui sont celles de notre temps. En un sens, nous sommes tous les légataires de la Caraïbe : en France, parce que notre pays a pratiqué l’esclavage ; en Europe, parce que l’Europe a pratiqué l’esclavage ; et à travers le monde, où les discontinuités, les déracinements, les migrations diasporiques dont la Caraïbe fut le poste avancé, s’accélèrent et nous propulsent vers un futur en forme de la spirale montante baroque, vertigineusement en mouvement, tourbillonnant vers des pratiques culturelles hybrides et fluides.