Jérôme COURDURIES ET Agnès MARTIAL, La famille, CNRS Editions, 2024, 160 pages. ISBN 978-2-271-15060-8
Dans une société où tout change à une cadence effrénée, la famille et les liens qui la composent n’échappent pas aux mutations actuelles. C’est bien ceci que l’ouvrage de Jérôme Courduriès et Agnès Martial intitulé La famille et paru en septembre 2024 dans la collection « À l’œil nu » des éditions du CNRS vient confirmer au lecteur. Les deux auteurs sont anthropologues1 et étudient depuis déjà quelques décennies le concept de parentalité ainsi que l’évolution des diverses formes familiales contemporaines. Il convient également de préciser que le livre est illustré par Julien Martinière.
Le livre se compose d’une introduction, d’une conclusion ainsi que de 9 chapitres qui abordent, successivement, les nombreuses façons de faire famille dans notre société actuelle. Ces 9 chapitres sont accompagnés d’études de cas précises sur des familles du monde entier (Sénégal, Serbie, Brésil, Espagne, Mali, Nouvelle-Guinée, Guatemala…).
Dans l’introduction, les auteurs détaillent plusieurs situations de la vie quotidienne qui nous montrent que la famille est une institution que nous côtoyons à chaque étape de la vie. Les auteurs nous invitent, dès l’introduction, à repenser la famille à partir d’un point de vue historique, anthropologique et social.
Le premier chapitre décrit la famille comme « un fait universel » (p.17). Les auteurs nous présentent la construction d’une famille à partir du mariage et abordent la question de la filiation d’un point de vue juridique. Les droits et devoirs des enfants en France sont également évoqués. Nous pouvons observer qu’une distinction nécessaire est établie entre procréation et filiation étant donné que « c’est l’institution de l’état civil et non les seuls faits de la procréation qui établit la maternité comme la paternité » (p.19). Il est intéressant de constater que les deux auteurs ne se limitent pas à analyser le cas français mais cherchent également à mettre en parallèle d’autres exemples dans le monde comme celui des Toda (Inde du Sud) et des Nuer (Afrique de l’Est), ce qui leur permet de corroborer leur propos lorsqu’ils affirment que « nous ne pouvons donc saisir ce qu’est la famille dans les sociétés humaines si on la réduit à un seule modèle » (p.26) et c’est pour cette raison qu’ils nous invitent à explorer les différentes formes de famille tout en considérant la dynamique mondiale et les spécificités propres à chaque société et culture.
Le deuxième chapitre aborde la question des migrations et de la manière dont les relations familiales se (re)construisent. Les auteurs s’attachent à nous montrer que la migration « transforme » (p.36) les relations familiales et « les fait exister d’une autre façon » (p.32). Les femmes, maris, frères, sœurs quittent un pays et se rendent dans un autre et se retrouvent partagés entre deux modes de vies, deux cultures, deux sociétés bien distinctes dans la majorité des cas. Dans ce chapitre, il est également question de nous montrer une évolution notoire dans les rôles des parents qui migrent vers un autre pays. En effet, auparavant, c’était le mari qui partait dans le nouveau pays et l’épouse accompagnée des enfants le rejoignaient plus tard par, lorsque celui-ci était déjà installé dans le pays depuis quelques mois (c’est ce que l’on appelle le « regroupement familial » (36)). Ce système semble avoir changé puisqu’à présent ce sont souvent des femmes qui migrent en premier vers le pays d’accueil, laissant époux et enfants dans le pays d’origine. Comme nous le démontre l’ouvrage, les femmes semblent acquérir un nouveau rôle au sein de leur famille. Les auteurs parlent d’une « parentalité transnationale » (p.38) pour définir ce nouveau rôle et ce nouveau phénomène qui inverse la tendance. Néanmoins, il est possible d’observer que la migration et l’absence d’un des deux parents pendant parfois de longues années peut rendre les relations familiales compliquées et conflictuelles, comme nous le rappellent les auteurs de l’ouvrage.
Le troisième chapitre se focalise sur le mariage et les nouveaux rapports de genre qui tentent de se mettre en place dans les couples actuels. Dans un premier temps, il s’établit une histoire du mariage et des rapports entre époux. Nous pouvons voir que le mariage est d’abord « une alliance entre familles » (p.46) puis qu’à partir de la fin du XVIIIème siècle, les familles se recentrent davantage sur le lien entre les époux et les enfants. Nous pouvons observer que pendant de longues décennies, le rôle du père et de la mère de famille était très précis et cadré. Le père était chargé de faire régner l’autorité tandis que la mère avait comme objectif d’éduquer les enfants. Les années 1970 marquent un tournant dans la vie des familles puisqu’une loi est votée afin de remplacer « la puissance paternelle par une autorité parentale exercée à part égale entre les époux » (p.49). Le mariage commence également à acquérir un sens nouveau et, par conséquent, le nombre de mariages diminue fortement : « 390.000 unions par an dans les années 1970 » contre « un peu plus de 200.000 mariages célébrés en France en 2021 » (p.49). La question de la paternité est également évoquée dans le chapitre et nous pouvons remarquer que de nouveaux rapports tentent de s’établir dans les foyers. Les auteurs abordent, en fin de chapitre, le phénomène du divorce qui ne cesse de prendre une place de plus en plus visible dans les familles depuis le début des années 1970.
Le quatrième chapitre expose les nouvelles formes de faire famille dans la société actuelle. Tout d’abord, il semble utile de rappeler que les couples de parents ont tendance à davantage se séparer à l’heure actuelle qu’il y a 40 ans. Les auteurs attirent l’attention du lecteur sur le fait que dans 86% des cas, l’enfant choisit la résidence maternelle lors de la séparation de ses parents, laissant au père une place secondaire dans les relations et l’éducation. De plus, plusieurs concepts sont abordés comme ceux de « résidence alternée » ou d’ « alternance nid ». Ce dernier, moins connu par la société, se définit par le fait que « les enfants résident en continu dans un même logement dans lequel les parents se relaient » (p.64). Néanmoins, l’étude sur la résidence alternée permet de démontrer la possibilité de redéfinir les rôles de chaque parent, notamment celui de la mère qui pourra retrouver « plus fréquemment de nouveaux espaces de réalisation personnelle » (p.64). Les auteurs attirent également l’attention sur le concept de monoparentalité, qui selon eux, touche majoritairement les femmes (rappelons que 86% des enfants choisissent de résider dans le foyer maternel lors d’une séparation). Le changement de vie que suppose la monoparentalité est mis en relief dans le chapitre et nous permet d’observer que celle-ci permet aussi de développer une relation différente avec l’enfant, une relation basée sur la complicité et la confidence et renforcée par l’aide de l’entourage proche comme les grands-parents par exemple. Enfin, le quatrième chapitre se clôt sur le rôle des beaux-parents dans une famille en montrant que malgré le fait que les familles soient de plus en plus composées par des belles-mamans et des beaux-papas, la loi reconnaît peu ou pas les diverses relations qui se forment au sein de ces foyers reconstruits.
Dans le cinquième chapitre, il s’agit d’étudier les différentes formes d’adoption. Les auteurs s’attachent à nous rappeler que ce sont les deux grandes guerres meurtrières qui ont frappé le XXe siècle qui permettent aux mineurs d’être adoptés par une famille. À partir de 1966, 2 adoptions existent : l’adoption simple qui « s’ajoute à la parenté d’origine » (p.81) et qui a pour but « de faciliter une éventuelle transmission des biens » (p.81). Il existe également l’adoption plénière où les parents adoptifs remplacent les parents d’origine. Cependant, l’adoption soulève plusieurs questions, notamment celle de l’accès aux origines. En effet, certains enfants nés sous X cherchent à connaître leurs parents, ce qui est possible en France depuis 2002 grâce à la création du Conseil National d’Accès aux Origines Personnelles (CNAOP) mais qui pose de nombreuses questions sur le véritable anonymat de la procédure. Enfin, la dimension internationale de l’adoption est étudiée et nous pouvons observer la dualité du phénomène. D’une part, il est possible de voir que dans un premier temps (dans les années 1980-2010), l’adoption connaît « un essor considérable » (p.83) dans un contexte favorable aux changements de manières de vivre et d’appréhender les différentes cultures. D’autre part, « l’amélioration des conditions économiques, sociales et sanitaires dans un certain nombre de pays » (p.84) ainsi que la création d’associations – de plus en plus nombreuses – chargées de démanteler des réseaux « d’adoptions illicites » (p.84) nous amènent à observer une forme de déclin dans le nombre d’adoptions.
Un autre chapitre est consacré à la thématique de la procréation médicale assistée (PMA), sujet qui se situe également au cœur des préoccupations actuelles et qui cherche à apporter des solutions au problème d’infertilité. À travers un aparté sur l’histoire de la PMA dans lequel nous pouvons lire en partie les premiers exemples de procréations médicales assistées, fécondations in vitro et injections intracytoplasmique de spermatozoïde, les auteurs cherchent à nous démontrer que les mœurs ont changé et qu’à présent, c’est le désir d’avoir un enfant ou non qui prédomine sur le reste. Les conditions de vie des futurs parents ayant également changés, le désir de faire un enfant intervient plus tard dans la vie pour divers motifs (études supérieures, entrée tardive dans le monde du travail…). En outre, les auteurs font la distinction entre « parenté et origines » (p.96) et « procréation et parentalité » (p.96) afin de montrer que chaque personne a un rôle fondamental (donneur, parents ayant comme souhait d’avoir un enfant ou encore mère porteuse) dans le processus de procréation médicale assistée.
Dans le chapitre 7, il est question d’homoparentalité et de mariage pour tous. À travers divers témoignages, les auteurs retracent les nombreux obstacles auxquels ont dû faire face les personnes homosexuelles. Non sans tensions, le PACS en 1999 et la loi en faveur du mariage pour tous votée en 2013 leur ont permis d’acquérir des droits en tant que parents pour, à leur tour, fonder une famille. Le concept de « famille homoparentale » a commencé à émerger dans les années 1980 et a pris de l’ampleur durant ces dernières décennies et s’appelle à présent « la coparentalité ». Malgré toutes ces évolutions, plusieurs problèmes persistent. La gestation pour autrui (GPA) étant interdite en France, les procédures d’adoptions considérées comme longues et un nombre de plus en plus faible d’enfants adoptables entraînent de nombreuses difficultés pour les couples de même sexe souhaitant avoir des enfants et fonder une famille. Sans parler de la transparentalité où une grande partie des décisions restent à prendre concernant « l’accès des personnes transgenres à l’AMP (Assistance Médicale à la Procréation), et la traduction juridique des familles qu’elles constituent » (p.112).
L’avant-dernier chapitre s’intéresse aux générations familiales. Les auteurs évoquent notamment la relation « égalitaire et ludique » (p.120) qu’entretiennent grands-parents et petits-enfants chez les Wolofs et les Mandingues (deux sociétés du Sénégal). Ils abordent également la place des grands-parents dans nos sociétés contemporaines où ces derniers se plaisent à transmettre à leurs petits-enfants des valeurs fondamentales et un certain savoir-vivre sans devoir s’acquitter de leur éducation tout entière. Nous pouvons également observer l’importance des grands-parents dans les familles homoparentales mais aussi du rôle des parrains et marraines pouvant devenir de « véritables parents spirituels » (p.123). Enfin, l’étude de cas sur les transmissions féminines nous permet de voir que la culture de la chènevière en Pays de Sault (champ de chanvre) donne la possibilité aux femmes de faire coexister en plus de l’héritage une transmission matérielle et immatérielle entre les femmes.
Le dernier chapitre se concentre sur les violences familiales. Le début du chapitre est consacré aux violences subies par les femmes au sein du couple et qui ne sont pas « l’effet d’un hasard mais la conséquence d’une violence profondément ancrée dans nos sociétés et qui les cible spécifiquement » (p.135). Quelques pages plus tard, les auteurs attirent l’attention sur les violences dont sont témoins ou que subissent les enfants au sein de la famille. Ils analysent tous les types de violences : physiques, psychologiques et sexuelles et affirment que « près d’1 femme sur 5 (18%) et 1 homme sur 8 (13%) déclarent en avoir subi avant leurs 18 ans » (p.139). Dans ce dernier chapitre, les auteurs révèlent que l’expérience traumatisante de ces violences a donné lieu à de nombreuses publications par les personnes les ayant vécues comme c’est le cas de Jules Renard qui publie Poil de carotte en 1894 ou encore d’Emma Marsantes et de son roman Une mère éphémère publié en 2022. Enfin, les auteurs concluent le chapitre en démontrant les tristes conséquences et les traumatismes que génèrent ces violences sur les enfants et qui les accompagnent tout au long de leur vie. Ils attirent l’attention du lecteur en insistant sur la nécessité de rompre le silence mais aussi sur le devoir de la justice face à ces cas de violences physiques, psychologiques et sexuelles.
L’ouvrage de Jérôme Courduriès et Agnès Martial est un apport considérable aux études sur les différentes formes de faire famille au XXIe siècle. La diversité de sources (œuvres littéraires, entretiens…) permet au lecteur d’approfondir les notions développées dans le corps de l’ouvrage. L’ajout, à la fin de l’ouvrage, d’un addenda énumérant les différents auteurs et les derniers ouvrages parus sur la thématique invite le lecteur à continuer la découverte de cet univers en constante évolution. Soulignons également que les illustrations réalisées par Julien Martinière sont d’une excellente qualité et mettent en valeur ce qui est expliqué dans l’ouvrage, permettant ainsi au livre d’être consulté autant par un chercheur souhaitant se documenter sur la question que par un lecteur désirant connaître l’état actuel de la réflexion sur le concept de famille. De cette manière, le choix des auteurs d’offrir au lecteur une vision transnationale sur cette thématique est un moyen de nous prouver que le concept de famille – aussi éloignée soit-elle – ne cesse de se renouveler encore et toujours.