Déclinaisons post/dé/coloniales en contextes de langue portugaise
Ce 5e numéro de Conceφtos constitue une réflexion sur les nouvelles tendances des théories et des récits post-coloniaux. Tout en proposant un décloisonnement de l’aire géoculturelle lusophone, il met l’accent sur les connections qui existent entre les divers espaces post-coloniaux, mais aussi entre différentes sphères de la société actuelle où résonnent les histoires, les récits, les cultures et les mémoires de la colonisation.
De nos jours, l’épuisement du paradigme postcolonial semble atteindre son paroxysme tandis que, paradoxalement, ces études peinent toujours à être pleinement définies. Comme l’a notamment montré Jean-Marc Moura, les critiques dirigées à l’encontre de ces théories s’expliquent surtout par l’ébranlement causé par la culture globale dont les structures créent de nouvelles inégalités, elles-mêmes comparables à celles de l’époque coloniale. C’est ainsi que le préfixe « post » (épuisé par son poststructuralisme, son postmodernisme et/ou son postcolonialisme) serait actuellement en train de laisser la place à un « trans » transnational/transcolonial studies), qui intègrerait le colonial pour mieux le dépasser. Face à ces successions de théories, alimentées par les difficultés de représentation de notre contemporanéité, nous proposons de nous interroger sur les tendances actuelles qui se dessinent dans le contexte lusophone et ailleurs dans le monde. Où en sont ces théories dans un contexte où la circulation des hommes et des idées atténue les frontières nationales ? Quels sont les dispositifs qui se dessinent face à des sociétés où les essentialismes tendent à se radicaliser ?
En entreprenant une démarche qui vise à montrer comment le Portugal, fortement marqué par son histoire coloniale et impériale, se définit en contexte post-colonial, Manuela Ribeiro Sanches souligne que « [l]a perspective post-coloniale ne se résume nullement à ce que recouvre, d’une façon plus ou moins consensuelle ou polémique, la désignation d’études post-coloniales dans l’espace anglophone, mais elle inclut également une production développée dans d’autres domaines complémentaires et décisifs pour son renouvellement »1 (Sanches, 2006, p. 9). Ainsi, sans perdre de vue l’apport déterminant de la pensée post-coloniale — par son ouverture à la pluralité du monde et des modes de connaissance, « soumettant ainsi à une critique intransigeante le récit unidirectionnel de la modernité »2 (Ribeiro & Ribeiro, 2016, p. 7) —, il s’agit de questionner l’adaptabilité d’une proposition générale à différentes temporalités et réalités locales. Cette question de la traduction de la théorie est au cœur de l’article incontournable de Boaventura de Sousa Santos, « Entre Próspero e Caliban: colonialismo, pós-colonialismo e inter-identidade » (2003), dont nous proposons une version française dans le présent volume. Il s’agit, pour le sociologue portugais, de s’affranchir d’un postcolonialisme anglo-saxon en proposant un postcolonialisme situé qui permette d’échapper à une forme « d’impérialisme culturel ». Ce postcolonialisme portugais a la particularité de se centrer sur les faiblesses du colonisateur portugais et doit, en dernière instance, s’inscrire dans une lutte en faveur d’une globalisation contre-hégémonique par le biais de nouvelles alliances entre des groupes sociaux opprimés, ce en quoi il « aura moins de “post” que d’anticolonialisme » (2003, p. 51). Engagé dans les mouvements altermondialistes et les forums sociaux, Sousa Santos oppose, plus généralement, les « épistémologies du Sud » (Santos, 2016) à un savoir occidental jugé hégémonique.
Sans entrer dans des polémiques sur la possibilité d’adapter une théorie générale à des contextes particuliers, nous pouvons néanmoins relever quelques pistes qui nous aident à saisir plus spécifiquement la condition post-coloniale du Portugal. Au-delà de la réévaluation critique du passé colonial entreprise par des figures majeures comme l’écrivain António Lobo Antunes ou le philosophe Eduardo Lourenço (2014), l’une des démarches consiste à mettre au jour la persistance d’un imaginaire impérial dans le contexte portugais. Cet « empire comme imagination du centre » — d’après l’expression de la chercheuse portugaise Margarida Calafate Ribeiro qui explore les liens symboliques entre le Portugal et son empire (2004) — a de nombreuses implications sur le plan identitaire, linguistique, culturel, géopolitique… et interfère aujourd’hui dans des questions comme la place du Portugal dans la « lusophonie », l’intégration européenne, la revendication d’une vocation atlantique, le multiculturalisme, les migrations… Une autre piste consiste à montrer des visages insoupçonnés de la subalternité au Portugal. Il peut s’agir de la subalternité féminine qui entre en résonance avec la subalternité du colonisé. Ces femmes exhument le passé sous forme de mémoires pour mettre au jour la violence, parfois minimisée, de la société patriarcale. Cette démarche apparaît en particulier dans le roman de Lídia Jorge, A Costa dos Murmúrios [Le rivage des murmures] (1988), et plus récemment dans Caderno de Memórias Coloniais [Carnet de mémoires coloniales] (2009) d’Isabela Figueiredo. Cette subalternité est aussi celle des « retornados », rentrés en métropole après l’indépendance des colonies, souvent dans des conditions précaires, comme ce fut le cas de Dulce Maria Cardoso qui en témoigne dans le roman O Retorno [Le retour] (2011). On voit également poindre cette subalternité dans les difficultés à entrelacer les histoires, mémoires et identités du Portugal et de ses ex-colonies, même lorsque celle-ci sont étroitement liées, voire communes. Cette brèche est notable dans l’œuvre de Djaimilia Pereira de Almeida (Esse Cabelo (2015), Luanda, Lisboa, Paraíso (2018)). Nous pourrions multiplier les angles d’approche du contexte post-colonial portugais mais préférons laisser la parole aux auteurs de ce numéro, non sans dire quelques mots, auparavant, sur le Brésil et les pays africains de langue portugaise.
Malgré sa position d’ancienne colonie – certes, une « colonie colonisatrice » selon Boaventura de Sousa Santos reprenant Marc Ferro (1994) —, c’est dans les années 1990 qu’on assiste à l’émergence des Études Postcoloniales au sein des études littéraires au Brésil, sous le grand parapluie des Cultural Studies. Cela coïncide avec la redémocratisation du pays après la dictature civile-militaire (1964-1985) et le conséquent engouement pour des questions de genre et « race » qui restaient marginales au vu du régime politique et de la censure. Hommi Bhabha, Edward Saïd et Stuart Hall, pour citer seulement quelques exemples, sont traduits rapidement au Brésil dans les années 1990, ce qui illustre la réception des Études Postcoloniales avec des origines anglophones bien marquées. D’ailleurs, Silviano Santiago, une des figures de proue des Cultural Studies au Brésil dont une version française du texte « L’entre-lieu du discours latino-américain » se trouve dans le volet traduction de ce volume, est un passeur des théories postcoloniales, poststrucuralistes, postmodernistes à son retour d’un long séjour en France et aux États-Unis. L’essai traduit à la fin du volume constitue, selon nous, un texte postcolonial ou décolonial avant l’heure (cf. présentation du volet traduction).
Cependant, le Brésil n’a pas attendu l’arrivée des Études Postcoloniales pour réfléchir à sa situation post-coloniale, la percevant de manière plus ou moins critique. La colonialité a souvent été au cœur des œuvres des différents « interprètes du Brésil », comme Sérgio Buarque de Hollanda, Antonio Candido, Roberto Schwarz et même le très décrié Gilberto Freyre3. Si la colonisation y était présente, la voix des subalternes, l’était beaucoup moins : la perspective restait masculine, blanche et aisée.
Un virage important a lieu avec l’application des politiques d’action affirmative et notamment avec la loi des quotas de 2012, visant à augmenter la représentativité d’étudiant.e.s noir.e.s et amérindien.ne.s dans les universités publiques de l’État fédéral tenant compte de la composition ethnique des différents États fédérés. La loi agit comme un véritable cercle vertueux, s’élargissant aux universités publiques des États fédérés qui n’étaient pas concernées, à des concours de la fonction publique et même au secteur privé. La loi est, par ailleurs, durement critiquée par les groupes les plus conservateurs de la société, qui représentent une partie non négligeable de la population brésilienne et qui ont élu le président Jair Bolsonaro en 2018.
C’est dans ce contexte de changements, de tensions sociales et de polarisation politique que des enseignant.e.s-chercheur.e.s, alors majoritairement noir.e.s, dénoncent, théorisent et analysent le racisme structurel (Almeida), le mythe de la démocratie raciale brésilienne, la place de la parole noire (Ribeiro), les privilèges de la blanchitude (Schucman), etc. La production littéraire contemporaine accompagne et favorise ce virage avec l’émergence d’auteur.e.s afro-descendants et amérindien.ne.s, comme Conceição Evaristo, Paulo Scott, Jefferson Tenório, Aílton Krenak, David Kopenawa, Eliane Potiguara et tant d’autres. Par ailleurs, une nouvelle génération d’intellectuel.lle.s noir.e.s et issu.e.s des peuples originaires, dont l’activisme ne se limite pas à revendiquer des nouvelles épistémologies, souvent inspirées du tournant décolonial latino-américain, d’Anibal Quijano et Walter Mignolo. Cette génération tient également à reconnaître sa dette envers les générations précédentes de noir.e.s brésilien.ne.s, comme Lélia Gonzalez (1935-1994), Milton Santos (1926-2001), Abdias Nascimento (1914-2011), Suely Carneiro (née en 1950), remontant à Carolina Maria de Jesus (1914-1977), Luiz Gama (1830-1882), Dandara (décédée en 1694). Par ailleurs, le Brésil établit un dialogue fécond avec des théoriciens portugais, comme Boaventura de Sousa Santos ou Grada Kilomba, dont Memórias da plantation devient une lecture incontournable alors qu’au Portugal la performeuse et théoricienne ne jouit pas du même prestige.
Étudier les littératures africaines de langue portugaise suppose une connaissance avancée de l’histoire et de la culture de ces pays. Tout critique qui travaille sur ces pays sait à quel point les analyses sont difficiles et périlleuses dans la mesure où la pluralité des approches peut générer des oppositions, voire des contradictions. Ce contexte scientifique post-colonial est à l’image de la complexité de notre contemporanéité. Depuis quelques années, la question des représentations et des études « postcoloniales lusophones » a ouvert la porte à des débats qui touchent aux représentations et par conséquent à l’impact que la colonisation portugaise a eu sur ces pays. L’exercice ne trompe pas : les relations complexes (propres à chaque nation) entre le passé et le présent, les interrogations sur la place de ces pays dans l’actuelle et apparente « globalisation » du monde, ou encore les approches artistiques qui méritent une attention particulière en raison de la richesse des pratiques sont autant de points que nous pouvons observer dans les déclinaisons post/dé-coloniales actuelles.
Si, en effet, le paradigme postcolonial semble s’être essoufflé ces dernières années, il n’en reste pas moins que sa contribution fut importante. Jacqueline Bardoph, une critique pionnière en France, l’avait déjà très bien montré dans son livre Études postcoloniales et littérature lorsqu’elle expliquait qu’il était désormais impossible d’ignorer l’héritage d’Edward Saïd lorsqu’il montre dans l’Orientalisme l’impact des constructions discursives sur l’image d’une nation. Peut-on désormais nier, au même titre, l’apport de la pensée de Gayatri Chakravorty Spivak lorsque cette dernière, en s’inspirant de la déconstruction derridienne, montre la dichotomie entre la marge et le centre et dénonce les inégalités des rapports sociaux de genre dans ses Subaltern Studies ? Ajoutons, enfin, l’importance des notions d’ambivalence, d’hybridité et de différence d’Homi Bhabha qui auront eu au minimum le mérite de mettre en avant une réflexion sur les relations (ni transparentes, ni binaires) entre les discours coloniaux et postcoloniaux.
En littérature, les écrivains et critiques continuent aujourd’hui à dénoncer une vision eurocentrée du monde et utilisent différentes formes subversives (discontinuités, polyphonie, pastiche, collage) et de contre-discours. On étudie l’évolution des mentalités et des imaginaires ; la situation des diasporas, des immigrés, l’apparition de nouvelles formes de domination/résistance afin de combattre les rapports de domination issues de l’histoire coloniale. Le discours reste le lieu de prédilection des analyses post-coloniales : les processus d’énonciation, la langue, l’univers du discours et l’approche sociologique qui montre les relations de cause à effet font partie des nombreuses stratégies de lecture qui poursuivent les luttes contre l’hégémonie occidentale. Il en a découlé plus récemment la critique d’une vision du monde globalisée qui se présenterait comme une nouvelle forme de globalisation culturelle, une sorte de néo-impérialisme au service d’une économie mondialisée, dominée par la communication et la manipulation des images. Bien que la critique n’en soit plus au même stade que celui des penseurs de la première heure qui voyaient et vantaient pour certains les mérites de cette globalisation, nous observons en revanche lors des débats d’actualité que la pertinence de l’approche postcoloniale n’a plus rien à prouver. Elle a également eu une influence sur la lecture du monde d’intellectuels qui travaillent sur les littératures africaines de langue portugaise, au même titre que les études décoloniales qui les inspirent aujourd’hui. Dans ce numéro où nous nous interrogeons sur les nouvelles formes de représentation en contexte de langue portugaise, on observe que les études sur les pays africains de langue portugaise sont un domaine d’analyse d’une très grande richesse dans la mesure où les écrivains issus de sociétés post-coloniales cherchent à élaborer de nouveaux discours sur leur société et sur leur être. Cette affirmation est encore plus vraie en ce qui concerne la plus jeune génération. Si le poids du passé est une composante qui reste ancrée dans le présent, il est possible de constater à quel point leurs regards se tournent bel et bien vers l’avenir.
Pour initier la réflexion sur les déclinaisons du post/dé-colonial, Sylvère Mbondobari (Université Bordeaux Montaigne), Professeur des Universités, spécialiste reconnu de littératures africaines francophones, nous apporte dans son article « Penser autrement l’identité africaine : culture transnationale et globalisation », une vision très éclairante quant à la pensée d’Achille Mbembe, notamment en ce qui concerne sa position pour une pensée tout monde. Le critique montre comment l’historien insiste sur la nécessité d’analyser les nouvelles modalités des discours sur l’Afrique et expose sa réflexion globale sur la présence africaine dans le monde. La pensée de Mbembe est ici mise en perspective afin de mettre en évidence sa volonté de dynamiser des relations restées en marge jusqu’alors et de penser autrement l’Afrique à l’heure de la globalisation.
L’approche des littérature africaines de langue portugaise, quant à elle, constitue un défi théorique compte tenu de la nécessité de repenser les outils d’analyse et l’approche de textes porteurs d’imaginaires, de rationalités, d’hybridismes linguistiques et de contextes qui perdent leur richesse s’ils sont appréhendés sans que ces spécificités soient prises en compte. Barbara Dos Santos, chercheuse au LAM (« Les Afriques dans le Monde », UMR 5115) et au sein du laboratoire AMERIBER, dresse un état des lieux des littératures africaines de langue portugaise en présentant une large sélection d’œuvres, en particulier angolaises et mozambicaines. Les textes de Pepetela, Ascêncio de Freitas, Manuel Rui, Ungulani Ba Ka Khosa, José Eduardo Agualusa, ainsi que les grandes voix féminines de l’Afrique lusophone, illustrent la diversité d’un corpus qui alimente le paradigme postcolonial tout en l’interrogeant. Les débats critiques qui accompagnent l’approche de ces textes sont également présentés par la chercheuse qui revient sur le postulat d’un « postcolonialisme lusophone » et sur les représentations qui circulent aujourd’hui encore sur le colonialisme portugais.
Michel Cahen (CNRS/Sciences Po Bordeaux) est un éminent historien, directeur de recherche émérite au CNRS, spécialiste de la colonisation portugaise en Afrique et analyste politique des actuels Pays africains de langue officielle portugaise. Dans son article « Déclinaisons post(-) coloniales à la portugaise ? Théorie postcoloniale et culture nationale au Portugal », l’auteur propose des pistes de réflexion sur les théories postcoloniales et s’interroge sur la spécificité de ces études dans les espaces lusophones. Il choisit de mettre ici en avant certaines caractéristiques du colonialisme portugais afin de relancer les débats qui ont circulé ces dernières années à ce sujet. Il est intéressant de souligner ici l’approche marxiste de l’historien qui s’intéresse et s’interroge sur les analyses de Boaventura Sousa Santos et sur sa pensée centrée autour de « l’épistémologie des Suds », une des principales références actuelles des études postcoloniales lusophones.
Dans une même démarche d’articulation théorique, la comparatiste Zilá Bernd, chercheuse du CNPq, professeure émérite à l’Université Fédérale du Rio Grande do Sul et toujours en activité au Programme de 3ème cycle « Mémoire Sociale et Biens Culturels », de l’Université La Salle (Canoas, Brésil), part des notions de « littératures de l’Après » (Faerber 2018) et d’« omissions du passé » (Catroga 2009) pour analyser des ouvrages « déconcertants » (Faerber 2018) d’écrivaines brésiliennes de l’extrême contemporain. Zilá Bernd montre que ces récits font appel à une mémoire intergénérationnelle sous une perspective transculturelle, révélant, entre autres, le traumatisme de l’esclavage.
Eurídice Figueiredo, professeure émérite à l’Université Fédérale Fluminense et chercheuse du CNPq, tâche de montrer l’émergence du féminisme noir brésilien et, plus récemment, du féminisme décolonial. La chercheuse révèle une constellation intertextuelle théorique qui s’inscrit dans l’entrecroisement du féminisme blanc et des mouvements noirs, dans un dialogue étroit avec la production intellectuelle étatsunienne et caribéenne. L’essai d’Eurídice Figueiredo souligne l’existence d’une pensée féministe noire brésilienne concomitante à celle des États-Unis qui avait pourtant été invisibilisée.
Soraya Lani (Maîtresse de Conférences à l’Université Bordeaux Montaigne, spécialiste du Brésil et des pays africains de langue portugaise) aborde le contexte post-colonial mozambicain en proposant une analyse du roman Niketche (2002) de l’écrivaine Paulina Chiziane. Le Mozambique est animé par des tensions identitaires et socio-culturelles, héritées de la période coloniale, qui se cristallisent notamment autour de la polygamie. Cette pratique ancestrale coexiste, dans le pays, avec le mariage monogame à l’occidentale, ce qui se traduit par une ambivalence identitaire. En contexte post-colonial, les revendications émancipatrices féminines et l’influence du global donnent un relief particulier à ces tensions, et interrogent la place de la tradition.
Rita Olivieri-Godet (Université Rennes 2/Institut Universitaire de France), Professeure émérite des Universités, est une éminente spécialiste de littérature brésilienne. L’article « Ritual poético de (re)fundação identitária na literatura ameríndia » qu’elle nous propose est une étude importante et originale sur la littérature amérindienne contemporaine au Brésil. À partir d’une approche liée aux théories décoloniales, la critique nous éclaire sur la qualité et la force de ces textes poétiques qui se reposent, entres autres choses, sur l’histoire violente et traumatisante des indiens du Brésil. La littérature apparaît ici comme un espace de résistance et de refondation du moi à travers l’adhésion à une performance de transfiguration, de transmutation du moi, de la resignification de l’existence. Ces poèmes, habités par une charge symbolique importante, ravivent la mémoire ancestrale indigène, la ramènent au présent et resignifient notre lecture du monde actuel.
Karina Marques, Maîtresse de Conférences à l’Université de Poitiers et chercheuse au CLA-Archivos, offre une lecture originale du roman Desterro. Memórias em ruínas, de Luis Krausz. L’auteur s’inscrit dans une tradition d’auteurs juifs-brésiliens, comme Moacyr Scliar, s’intéressant notamment à des personnages « orphelins de l’empire austro-hongrois » qui ont dû migrer vers la mégalopole de São Paulo lors de la montée du nazisme. Karina Marques montre que, dans les « espaces transnationaux » (Pries, 2001) où circulent les personnages de Krausz, des mythes nationaux coexistent avec des pensées et pratiques colonialistes.
Le volume s’achève par une ouverture sur une autre aire géoculturelle proposée par Ahmed Mulla, Maître de Conférences en études anglophones à l’Université de Guyane où il est le cofondateur d’un séminaire sur le féminisme post-colonial. Le roman Half A Life (2001), de l’écrivain anglophone V.S. Naipaul, est présenté pour mettre à nu les clivages qui affectent les identités dans les sociétés coloniales. Ahmed Mulla porte une attention particulière à la dernière partie du roman dans laquelle apparaît une colonie portugaise fictive sur la côte orientale de l’Afrique, observée par un personnage-narrateur indien, en provenance d’un contexte postcolonial, mais ayant une culture de caste. Ce regard extérieur met à nu les anachronismes, les frontières entre colons et autochtones, ainsi que les failles d’une société apparemment immuable, mais en voie de délitement.