Panique, le refus de l’autorité surréaliste
El hombre pánico no es sino que está siendo
Jodorowsky Alejandro, Teatro pánico.
Introduction
L’autorité se définit par le pouvoir de décider, d’imposer ses idées et ses volontés à autrui. Celui qui subit cette autorité se voit donc contraint ou encouragé à écouter, obéir et se plier à des exigences qui sont généralement celles d’un seul individu. Cette notion d’autorité en art peut également intervenir, notamment lorsqu’un mouvement, par l’existence d’un pionnier ou d’un penseur, entend établir son influence et dicter ses critères sur ses contemporains. Nous verrons le cas du surréalisme, qui a eu un fort impact en Europe pour de nombreuses raisons : l’envie de changement, de renouveau, la perte de sens ou encore le désir de liberté. Le surréalisme et les avant-gardes ont indéniablement participé à la grande rénovation artistique du XXe siècle en Europe. Des auteurs venus de pays et de continents différents, tels que Vicente Huidobro ou Octavio Paz, y ont adhéré à leur tour. Le vent de liberté qu’a soufflé le surréalisme sur le monde artistique était en effet nécessaire en ce XXe siècle, mais certains auteurs ne se sont pas tous reconnus dans cet espace créatif que le mouvement de Breton leur proposait, c’est notamment le cas de Blanca Varela, davantage séduite pendant un moment par le mouvement que par sa figure d’autorité1.
Alejandro Jodorowsky, cinéaste, scénariste de bande-dessinée et poète chilien, choisit de rejoindre Paris dans les années 1950 afin de travailler aux côtés des surréalistes et surtout de rencontrer André Breton. La collaboration sera de courte durée, et le Chilien préférera créer selon ses propres règles et selon ses propres influences. Jodorowsky fait très rapidement la connaissance du dramaturge espagnol Fernando Arrabal qui s’intéresse lui aussi au groupe surréaliste. Les deux auteurs se lient enfin d’amitié avec le dessinateur français Roland Topor qui se détachera plus rapidement du groupe d’avant-garde français et d’André Breton.
Les trois auteurs, par leur refus de se plier à l’autorité de Breton et par leur désir de créer plus librement, ont décidé de penser leur propre mouvement ou anti-mouvement, Panique. Nous verrons dans ces quelques pages comment Panique s’érige en contraire du surréalisme, dans un vent de révolte et de désaccord profond. Nous constaterons comment la rupture s’est produite entre le surréalisme et les trois auteurs qui mettent l’humour au centre de tout, puis nous tenterons de saisir les caractéristiques de ce mouvement qui échappe bien souvent à la définition.
L’humour Panique contre le sérieux du surréalisme
L’humour est un trait panique que les trois auteurs ne retrouvent pas dans la pensée et l’attitude du Pape du surréalisme. Arrabal relate à ce propos une anecdote dans laquelle Breton, en maître de cérémonie, se serait insurgé contre Jodorowsky et Arrabal, alors que ce dernier avait lancé un caleçon vert -souvenir des États-Unis- en pleine réunion au café de La Promenade de Vénus à son compère chilien qui se trouvait à l’opposé de la table. Relevons la longue anecdote contée par Arrabal :
J’étais, ce jour-là, le troisième à gauche d’André Breton et face à la glace géante du café La Promenade de Vénus. Jodorowsky était le quatrième à sa droite et, en m’apercevant, il m’a interrogé du regard sur ma pérégrination annuelle à New York. À ce moment j’ai extrait le caleçon de ma poche. Je l’ai tendu à deux mains entre mes pouces et mes index. Jodorowsky, peut-être trop éloigné pour bien voir le motif, n’a pas compris de quoi il s’agissait. J’ai alors pensé qu’il serait plus utile de lui lancer l’objet. Et de mes mains jusqu’aux siennes, le caleçon a volé et passé devant André Breton. Son nez pour être précis. C’est ce qui va se révéler important. (Arrabal 2019)
L’incident commence alors ici, en réaction au lancer de caleçon d’Arrabal, en pleine réunion du groupe :
Comme systématiquement, la réunion du groupe s’est achevée à sept heures et demie sans autre incident digne de figurer dans la mémoire de la modernité ou celle de Maurice Nadeau.
Trois heures plus tard, Jodorowsky et moi-même avons reçu un coup de téléphone. On nous a convoqués le lendemain à deux heures de l’après-midi, rue Saint-Roch. Dans l’appartement où vivaient Mimi Parent et Jean Benoît, deux artistes nés au Canada avec qui nous avions partagé des mirages et des balades à moto.
Sans soupçonner l’objet de la réunion, nous nous sommes présentés chez ces deux amis toujours particulièrement accueillants et généreux envers nous deux. (Arrabal 2019)
Mimi Parent et Jean Benoît avaient déjà collaboré avec Jodorowsky et Arrabal, ils étaient donc en bons termes et les deux amis n’avaient pas de crainte quant à l’objet de cette rencontre, cependant, la suite de la conversation a conduit à l’exclusion des deux artistes :
Par conséquent nous croyions tous les deux nous rendre à un rendez-vous motivé par « des projets ». Je me trouvais en d’excellentes dispositions : le matin j’avais analysé avec Beckett une partie de Mikhaïl Tal qui nous enchantait. J’avais l’esprit rempli des coups d’échecs du « magicien de Riga ».
La première surprise a été de voir la « fine fleur » du mouvement rassemblée dans le nid des Benoît. À l’exception d’André Breton. On nous a reçus avec les égards d’un tribunal face à deux condamnés.
Aussitôt « le responsable » a pris la parole. Sur un ton de procureur, il nous a récité l’acte d’accusation :
– Nous ne pratiquons pas le culte de la personnalité au groupe surréaliste. Comme il est de notoriété publique, « André » [c’est ainsi qu’il a nommé Breton, pendant toute sa philippique ; évidemment ni le prénom de Jodorowsky ni le mien n’ont jamais été évoqués] non seulement permet mais encourage un traitement d’égalité entre tous les membres du groupe. Mais s’il a établi ces principes inamovibles entre nous, ce qu’on ne peut accepter, c’est de remettre en cause leur essence même.
– Arrabal s’est permis l’acte antisurréaliste par excellence de s’intéresser, au point de l’acheter, à un caleçon orné d’un motif digne de ceux qu’épinglent les routiers dans leurs cabines vulgaires. Jodorowsky a semblé également se passionner pour cet objet d’un goût incompatible avec le surréalisme et, pour tout dire, ex-é-cra-ble.
– Au groupe surréaliste, avec la complicité et sous le magistère d’André, nous nous occupons de tout ce qu’inspire l‘esprit même des manifestes du surréalisme.
– Arrabal et Jodorowsky sont en rupture avec cette attitude qui nous est commune, en ayant présenté en pleine réunion surréaliste rien de moins qu’un caleçon.
– Comme si cela ne suffisait pas, Arrabal a osé ridiculiser le groupe tout entier en le jetant à la volée d’un bout à l‘autre de la table. (Arrabal 2019)
André Breton, qui n’était donc pas présent à cette réunion qui a vite pris des allures de sermon, intervient cependant dans la scène. Il téléphona au milieu de l’échange pour donner une indication précise aux membres surréalistes, et notamment à Jodorowsky et Arrabal :
Mais le téléphone s’est mis à sonner. Mimi a décroché. Aussitôt elle a dit, tout illuminée, en cachant le récepteur avec sa main :
– C’est André !
En raccrochant elle a ajouté :
– …il m’a demandé d’inviter Fernando et Alejandro à venir chez lui, rue Fontaine, demain après-midi. À trois heures…
Elle a fait une longue pause.
– …pour prendre un verre de rhum blanc.
Ces faits, c’est la première fois que j’en parle, se sont déroulés il y a un demi-siècle. Un verre-de-rhum-blanc était la plus grande preuve que pouvait donner Breton que l’invité était persona, non seulement grata, mais gratissima. (Arrabal 2019)
En somme, le groupe surréaliste a évincé les deux auteurs à cause d’un acte considéré comme non conforme au mouvement, à son manifeste, à la décence et au bon goût. Cette décision semble avoir été prise d’un commun accord, mais celui qui a subi l’affront est bien André Breton, qui cependant ne semble pas avoir été froissé par cet événement. Le caleçon vert d’Arrabal a été la pitrerie de trop pour les camarades surréalistes, qui ne voyaient pas d’un bon œil l’amusement des deux compères et cet objet « vulgaire » issu de la culture populaire. Le bon goût était donc une valeur que Jodorowsky et Arrabal se devaient de respecter, sous peine d’être exclus du groupe. On comprend dès lors pour quelles raisons l’humour entend se placer au cœur de Panique, comme pour rompre avec le sérieux d’un mouvement que les deux amis, en compagnie de Topor, trouvaient trop rigide et protocolaire.
Le mouvement Panique qui naîtra de la scission reste assez discret dans le panorama littéraire et filmique français, or de nombreuses productions découlent de ce mouvement, comme Les Nouvelles Paniques de Jodorowsky ou encore Le locataire chimérique de Roland Topor. Arrabal et ses pièces de théâtres satiriques ont été pour Jodorowsky un souffle nouveau qui a orienté ses propres œuvres dans les années 1960. La violence, le sacré et le désacralisé, l’humour ou encore l’excès sont exacerbés dans Panique. La pudeur et la timidité du surréalisme se voient dépassées par les trois auteurs héritiers des avant-gardes. Si ces éléments pouvaient apparaître dans les œuvres surréalistes, ils restaient néanmoins trop encadrés par certaines normes pour Arrabal, Topor et Jodorowsky (la politesse ou encore le bon goût, on l’a vu).
Au niveau de l’esthétique panique, les corps dans les films de Jodorowsky sont plus marqués, violentés et moins lisses que ceux que l’on peut rencontrer dans des images surréalistes, que ce soient des peintures, des photographies ou des dessins. Le photographe Pierre Molinier a d’ailleurs été mis de côté par Breton, quand ses clichés érotiques devenaient trop audacieux2. L’artiste sera lui aussi mis à l’écart du groupe en 1959, alors que Breton avait reçu un courrier trop osé de la part du photographe. La bienséance se doit d’être conservée, même dans les créations les plus érotiques et corporelles du groupe, et c’est cette barrière que Panique veut franchir.
Dans le film La montagne sacrée (1973), Jodorowsky expose des corps difformes, relevant davantage de l’idée panique que du surréalisme. La difformité ou la violence sont en effet exacerbées, et le cinéaste sort de l’esthétique lisse du mouvement de Breton. La visibilité qu’accorde Jodorowsky à ces corps lui permet de dévoiler l’Humain dans son ensemble et de sortir des codes qu’il pouvait observer dans le surréalisme. Finalement, Jodorowsky, tout comme Arrabal, cherche à aller au-delà de ce que propose le surréalisme. Les corps sont plus difformes et l’humour est plus présent et excessif.
Panique ou l’impossible définition
Jodorowsky, très touché par André Breton et par le discours du mouvement surréaliste, a donc vite pris la fuite face à l’autorité de la figure du Pape Breton. Avec Panique, nous sommes face à un mouvement qui ne rappelle en rien le romantisme, le symbolisme, le réalisme ou le surréalisme. Il est plus libre, plus confus et hasardeux et ne correspond pas à des codes préétablis, en somme, il se veut en perpétuelle évolution. Jodorowsky, Arrabal et Topor créent le contre-mouvement en 1962, le nom du groupe est directement inspiré de la divinité Pan, du grec ancien Πάν / Pán, signifiant « tout ». Panique se veut être un mouvement éphémère, doté de plus de spontanéité et de liberté que le surréalisme. Les trois artistes pensent l’anti-mouvement dont Jodorowsky est à l’origine du nom (Aranzueque-Arrieta 2019 : 190). Frédéric Aranzueque-Arrieta (2019 : 58) retrace l’histoire du mouvement dans son œuvre Panique : l’homme panique tend à l’idée-action. C’est pourquoi le penseur panique est un guerrier et un athlète panique, un créateur spirituel. Dans Panique, les contraires s’unissent (Pan est mi-homme mi-bouc, il est donc duel) pour tendre au sacré, les opposés ne font qu’un et la dualité a toute son importance. Alejandro Jodorowsky, impulsé par ses deux amis, s’ouvre les portes d’une création sans bornes grâce à cette nouvelle pensée. C’est alors le début de l’émancipation pour notre auteur chilien.
Premièrement, si l’on devait définir Panique, il serait indispensable de rappeler que l’indépendance est une caractéristique fondamentale pour le mouvement, qui souhaite rester libre de tout écrit ou manifeste. La fracture avec le mouvement surréaliste semble répondre également au souhait des trois artistes de rester apolitique. En effet, certains membres du surréalisme rejoignent le parti communiste à l’époque, c’est le cas notamment de Louis Aragon en 1927. Les auteurs glisseront ensuite vers la pensée anarchiste à partir de 1950, parmi eux, André Breton. Mais Jodorowsky, dans le même esprit que Topor et Arrabal, refuse toute appartenance à un groupe ou une organisation politique, préférant ainsi l’art et uniquement la création. Rappelons que sur la quatrième de couverture de Poesía sin fin (2013), l’anthologie poétique de Jodorowksy, nous pouvons lire : « Y no creo en la revolución política, yo creo en la re-evolución poética. La poesía salvará al mundo, es decir, la belleza, porque todos los problemas son por fealdad » (Jodorowsky 2013). Le groupe surréaliste se ferme sur lui-même aux yeux des trois amis, qui, peu à peu, s’éloignent et choisissent de travailler de leur côté. Ils entendent bien placer la liberté de chaque artiste au-dessus de l’autorité de décision d’un seul fondateur. Panique n’a d’ailleurs pas de créateur à proprement parler, tout le monde peut s’en revendiquer.
Alejandro Jodorowsky dans un souhait de renouvellement du théâtre dédie son ouvrage Opéra Panique (2001) à Aleister Crowley, Fransisco Goya, Gaston Bachelard mais aussi Antonin Artaud. La cruauté, pour reprendre un terme employé par ce dernier (lui-même exclu du surréalisme après y avoir appartenu entre 1924 et 1926), est d’ailleurs un maître mot de ce mouvement. La violence, le cruel et le catastrophique doivent s’exprimer dans les œuvres paniques qui prennent racine en de nombreuses sources. Jodorowsky étant un homme de théâtre, il semblerait cohérent qu’il se soit inspiré d’Artaud, étant lui-même rattaché au surréalisme et à ses idées avant de s’en écarter (Aranzueque-Arrieta 2008 : 82-83). Les auteurs d’influence du non-mouvement divergent de ceux du surréalisme, la vague Panique se construit alors en opposition avec le courant artistique de Breton. Ces noms sont d’autant plus intéressants qu’ils se réfèrent à des cultures et traditions différentes, renforçant l’aspect d’art total et ésotérique qui ressort de cette pensée qui se veut plus libre.
Bien qu’il semble compliqué de définir clairement Panique, qui ne possède ni textes pour faire autorité ni figures supposées comme étant centrales dans le mouvement, certains spécialistes s’emploient à déceler ses caractéristiques dans les productions qui y sont rattachées. La chercheuse et docteure française Élisabeth Pouilly travaille sur le théâtre d’Alejandro Jodorowsky et sur les théories « psychomagiques » développées par l’auteur dans ses productions, elle explique ci-dessous comment la provocation mais surtout le renouveau sont à la racine de la création de Panique :
Panique est la création de trois auteurs, venus d’horizons divers et qui se retrouvent à Paris dans les années 60, dans le cercle de plus en plus restreint des surréalistes d’après-guerre : Fernando Arrabal, exilé espagnol fuyant la dictature, Roland Topor, fils de réfugiés polonais, et Alejandro Jodorowsky, né au Chili et fils d’émigrants russes. Mus par une réelle volonté de renouveau, de provocation et de liberté, ils se positionnent assez rapidement contre le dogmatisme d’André Breton, chef autoproclamé du mouvement surréaliste, et souhaitent revenir aux bases de cet esprit de révolte qu’a représenté Dada. (Pouilly 2016 : 39-51)
À partir des années 1960, on constate que Jodorowksy s’émancipe tout en gardant un pied dans l’univers surréaliste dans lequel il a évolué et dans lequel il est arrivé à Paris dix années auparavant. Nous pouvons le comprendre comme une réelle volonté de renouveau comme le dit à juste titre Élisabeth Pouilly, en nous montrant comment Jodorowsky prend son indépendance. L’avènement de Panique correspond également à une nécessité de rompre avec une culture des « ismes », instaurée au début du XXe par le cubisme, le dadaïsme et le surréalisme.
Le mouvement apparaît dans un contexte littéraire propice à l’expérimentation. Panique, tout en se détachant des autres mouvements artistiques, trouve ses racines dans ces sphères d’influences majeures. Plutôt que le surréalisme, c’est le dadaïsme qui inspirera Panique. Le courant de Tzara et Man Ray, au même titre que le surréalisme plus tard, surgit en réponse aux violences de la seconde guerre mondiale. Il préconise de ne suivre aucune règle, laissant ainsi la liberté prendre le pas sur toute chose et particulièrement sur la création :
Dada dépasse les limites de chaque discipline. Tout son effort a consisté à semer la confusion dans les genres et à réduire les frontières dressées entre l’art, la littérature, voire les techniques accumulant tableaux-manifestes, poèmes-manifestes, poèmes simultanés avec accompagnement de bruits, collages, photomontages, s’emparant de tous les matériaux considérés comme étrangers à l’art. (Behar Vasseur 2012)
La disparition des frontières entre les arts est l’un des éléments fondateurs que l’on retrouve dans la pensée panique. Cette totale liberté artistique accompagne encore aujourd’hui Jodorowsky, dans ses poèmes et dans son art. Les réunions entre les membres de Panique se tiennent à présent au café de la Paix, place de l’Opéra à Paris. Ce changement symbolique de lieu de rencontre, en contraste avec le café de la Promenade de Vénus des surréalistes, marque une rupture consommée entre les deux pensées. Le surréalisme s’effacera dans les années 1960 et Panique continuera à inspirer quelques artistes, dont Jodorowsky qui se plaît encore à créer en accord avec les principes de ce non-mouvement, tels l’humour, le carnavalesque et la difformité des corps. Le peintre Olivier. O Olivier a également pris part à la mouvance panique après les années 1960, tout comme son cousin Abel Ogier.
Au-delà d’un simple mouvement, Panique devient un art de vivre, une performance sur le long terme et une manière d’exister. Les actes, définis comme poétiques ou magiques dans Psicomagia (Jodorowsky 2013), sont des performances que le jeune Jodorowsky expérimentait déjà au Chili, aux côtés du poète et ami Enrique Lihn. Nous pouvons voir un exemple d’acte poétique à l’écran dans Poesía sin fin (2016) où Alejandro Jodorowsky a choisi de tourner un épisode bien précis dans lequel le poète traverse la ville aux côtés d’Enrique Lihn en s’adaptant à tous les obstacles. Ainsi, le spectateur les observe monter sur le camion d’un marchand ambulant, puis traverser la maison d’une vieille dame, allant même jusqu’à marcher sur son lit pour ne pas déroger à leur toute nouvelle règle de conduite. A la question d’une vieille dame : « ¿Por qué hacen eso? », les deux amis répondent que leur but est de modifier le quotidien et le langage, voire de se modifier eux-mêmes, avec humour et audace. On perçoit alors dans cette expérience une pensée panique avant l’heure, tout droit tirée de sa jeunesse au Chili, dans les années 1940-1950. Cette séquence retrace à la perfection ce que Jodorowsky entend lorsqu’il parle de poésie. Mettre cet instant à l’écran est une façon de le rendre public mais aussi de divulguer son message et son goût prononcé pour la poésie. Cette séquence se termine sur les deux personnages Jodorowsky et Lihn, heureux de pouvoir affirmer de vive voix que la poésie est en réalité un acte, comme si ensemble, ils prenaient conscience de quelque chose qui les guidera tout au long de leur vie. Panique est donc un acte, au même titre que ceux auxquels le Chilien s’adonnait au Chili, c’est une façon d’être et de créer, mais les trois penseurs n’ont jamais émis le souhait d’en faire un mouvement cadré.
Conclusion
Si Panique est si difficile à déterminer, c’est avant tout parce que son existence même se veut en parfaite opposition à l’idée d’autorité, concept qu’un mouvement peut aisément contenir dans un manifeste, un traité ou une œuvre. Panique en définitive ne se définit pas, il doit rester insaisissable pour se différencier de son ancêtre le surréalisme, qui perd de son influence dès 1962. L’absence de créateurs, de personnes influentes, supposées charismatiques ou même l’absence de manifeste ou de textes de référence fait de Panique un non-mouvement, un mouvement libre, auquel on peut adhérer ou non. Pour Arrabal, Jodorowsky et Topor, tout le monde peut être Panique, s’en revendiquer et s’y associer, et c’est en cela que le mouvement diffère du surréalisme. Les trois auteurs entendent bien anéantir l’autorité et ses principes, en privilégiant véritablement la liberté et la transmission par l’art. Panique se révèle davantage être un mode de vie, un art de vivre poétique et excessif. Il dépasse les idées surréalistes et s’y oppose même, principalement à la suite des désaccords que Topor, Arrabal et Jodorowsky ont pu connaître avec Breton. La figure papale du chef surréaliste semble être la raison principale de la scission, mais il est certain que le surréalisme a joué un rôle dans l’apparition de Panique, son autorité a impulsé la confrontation et l’éclosion d’un collectif plus libre.