Helen E. Mundler, The Noah myth in twenty-first-century cli-fi novels: rewritings from a drowning world, Camden House, New York, 2022, ISBN : 978-1-64014-1-315

Helen E. Mundler, The Noah myth in twenty-first-century cli-fi novels: rewritings from a drowning world, Camden House, New York, 2022, ISBN : 978-1-64014-1-315

Le titre annonce l’ampleur de la tâche qu’incombait à Helen E. Mundler dans la rédaction de son ouvrage en langue anglaise, The Noah Myth in Twenty-First-Century Cli-Fi Novels : Rewritings from a Drowning World. Ce titre invite aux associations, ce dont Mundler, qui dans ses recherches universitaires s’intéresse à l’intertextualité et aux adaptations cinématographiques, semble savourer. L’enjeu est de taille : tout le monde connait le mythe de Noah, mais l’étude des « réécritures » de ce mythe dans des romans dits de « cli-fi », la version courte, en anglais, de « fiction sur le changement climatique », s’annonce plus novatrice. L’annonce finale d’un monde en train de se noyer, en est presque postapocalyptique.

L’écrivaine a déjà publié des fictions et des ouvrages théoriques. Le mélange de la théorie littéraire et son statut d’écrivaine de fiction, mais aussi son expérience dans l’enseignement de creative writing, lui permet d’effectuer des analyses textuelles sur quatre ouvrages de fiction spéculative. Elle aborde le rôle de la fiction pour aborder le sujet de l’anthropocène.

Le titre, qui promet un vaste programme, cache un livre assez menu, de 193 pages, divisé en quatre parties, d’une vingtaine de pages chacune. L’organisation des textes analysés se fait, explique l’autrice, en fonction de la chronologie narrative. Les lectures peuvent se faire linéairement, mais aussi en fonction de l’œuvre analysée qui intéresse les lecteurs. Une lecture linéaire permet pourtant d’apprécier l’étude comparative effectuée entre ces œuvres dans chaque partie.

Les trois premières parties sont introduites par des questionnements : « An Odd Sort of Cli-fi ? » pour la première, dédiée au texte de Nathaniel Rich (2013), une citation « Hadn’t mankind done it before–started from scratch ? » pour celle dédiée à l’analyse de la trilogie Maddaddam par Margaret Atwood (2013), puis « Watering Down ? » pour l’étude de When the Floods Came par Clare Morrall (2016). Ces questions s’arrêtent à la dernière partie, qui évoque l’après, « The Archive and After » pour The Flood de Maggie Gee (1956). L’on se demande donc si cette partie apporte un début de réponse aux questions proposées ci-avant, ou une conclusion. On comprend à la lecture que les questionnements s’arrêtent là où la vie s’arrête, purement et simplement, avec le livre de Maggie Gee, qui ne laisse pas de possibilité de reconstruction ni d’adaptation dans un monde nouveau. L’évolution du monde et sa population, ses archives et ses textes écrits, sont les fils conducteurs de l’ouvrage.

Dès l’introduction, Mundler rappelle les thèmes abordés, la définition du mythe de Noah, et l’approche plus textuelle que les recherches thématiques effectuées auparavant sur les fictions liées au changement climatique. Elle présente l’état de l’art et les recherches autour de ces fictions par Astrid Bracke, Adeline Johns-Putra et Adam Trexler. Les fictions sur le changement climatique sont liées aux crises climatiques, mais aussi à celles qui lui succèdent. La pandémie de COVID, qui eut lieu deux ans avant la publication de l’ouvrage, est mentionnée, comme le sont les crises financières et les problèmes sociétaux, et l’effet boule de neige de ces dernières. Le sentiment d’état d’urgence n’est plus un état, mais semble être devenu la norme. Dans cet ouvrage, Mundler aborde le texte et revient à la lettre pour expliquer ces fictions, qui évoquent des sujets anxiogènes et difficiles à aborder.

Mundler compare à juste titre les ouvrages qui abordaient, directement ou indirectement, la menace nucléaire dans les années 1960-70, aux ouvrages qui s’intéressent au changement climatique et aux multiples crises engendrées par le 20ème siècle, et se poursuivant dans le 21ème. L’on se demande pourtant si l’on peut vraiment parler de « cli-fi » sans aborder la réalité dans laquelle on lit l’ouvrage, Mundler compare par exemple la pandémie de « JUVE » créée par le personnage Crake dans Maddaddam à la pandémie de COVID (50-51). Le contexte de rédaction de l’ouvrage de Mundler semble investir certaines analyses, nous rapprochant alors du rôle de la réalité et contemporanéité du lecteur dans la lecture de ces ouvrages, comme à l’époque de la menace nucléaire et de la guerre froide.

L’analyse textuelle de chaque œuvre aborde de nombreux thèmes et outils littéraires comme l’uncanny de Sigmund Freud, l’idée de lecture « kaléidoscopique » des personnages de Gee (au nombre de 63), les mises en abîmes, les synecdoques. Même si la qualité d’écriture de ces textes littéraires semble inégale, chaque ouvrage apporte un complément à l’argument de la nécessité d’ajouter une lecture approfondie à une simple analyse des idées portées par ces ouvrages.

L’approche de Mundler se veut intertextuelle. Il n’est pas seulement fait cas du mythe de Noah réinterprété dans ces ouvrages, à partir du texte de la Genèse, mais aussi des liens avec d’autres textes, qu’ils soient directement inscrits dans l’ouvrage, des métatextes comme les livres pour enfants dans l’ouvrage de Clare Morrall ou les livres de « self-help » dans celui de Nathaniel Rich. L’intertextualité peut-être aussi une référence, comme au poème de T.S. Eliot, The Wasteland, que Mundler retrouve dans chaque œuvre.

Mundler insiste sur la question des archives, et du concept de disparition des archives de Derrida. Ainsi, le mythe de Noah, devenu déluge d’œuvres de fictions sur le changement climatique, permet d’explorer la littérature, la disparition du texte et la perte d’intérêt dans le fait littéraire. Les textes sont, dans ces œuvres, les outils qui permettent aux personnages d’évoluer, de se retrouver, de créer ou recréer une société, qu’elle soit dystopique ou se veuille utopique.

L’une des qualités premières de l’ouvrage est sa fluidité, qui dans une étude sur les romans abordant le déluge, ne manque pas d’à-propos. On se laisse porter dans les analyses textuelles de Mundler comme l’on se laisserait bercer sur un radeau après la fin du monde. Le but de Mundler est accompli, elle démontre que l’idée du changement climatique n’est pas le seul intérêt de ces ouvrages. Même si le thème est actuel et nécessaire, l’écriture et les choix narratifs et discursifs de ces auteurs apportent un approfondissement de ce thème qu’ils ou elles choisissent d’aborder.