L’inhumanité, l’impertinence et l’improvisation : Crow, poète charognard et poète écorché
Abstract: In Crow, Ted Hughes wants to display the dreadful consequences of the greed and barbarousness
of the men of his time. The world he describes is a deserted battlefield and a mass
grave in which his crow, as the king of carrion, exults; he is the squalid bard of
a massacre, the last and only poet that can exist, whose flowers of rhetoric spread
the perfume of all the evil that men have done to each other.
Crow asserts himself as a controversial and unreliable figure because of his impertinence:
he is capable of perspicacity when he speaks his caustic mind, disturbing everything
men have proclaimed and established; but, at the same time, he remains a foolish and
egocentric bird with an empty and shrill voice, that betrays the utter nonsense and
meaninglessness of the modern world.
He is the poet-scavenger of the wasteland, whose ars poetica is indeed of a particular kind; he revels in poetic carrion and in exquisite corpses.
Still, in his peculiar way, Crow achieves to give meaning to a meaningless universe,
to give shape to a destroyed world; up to the point of utter exhaustion when he himself,
breathlessly, falls silent and defeated, revealing, under his armour of feathers,
the flayed skin of a poetic figure tormented by the intensity of the ordeal.
Keywords: Ted Hughes, Julia Kristeva, Crow, Poetry, Poetic carrion, Exquisite corpses
Résumé : Dans le recueil des aventures de Crow, le poète Ted Hughes veut montrer les conséquences effroyables de la cupidité et
de la barbarie des hommes de son temps. Il décrit un univers saccagé, où triomphe
son corbeau, Crow, roi de la charogne et maître-chanteur d’un monde détruit, seul
poète que peut encore s’offrir une humanité en faillite et dont les fleurs de rhétorique
répandent les effluves de tout le mal que les hommes ont pu se faire.
Crow s’affirme dans le recueil comme une figure contestataire, impertinente, car il
est équivoque : il est d’un côté une figure polémique, caustique et cruelle, dérangeant
tout ce que l’homme a institué, mais il demeure, de l’autre, un personnage anémique,
creux et criard, qui renvoie à tout ce qui du monde a sombré dans l’insensé et l’insignifiance.
C’est sur l’art poétique de ce poète charognard qu’il convient tout particulièrement
de se concentrer. Il s’agit de mettre en avant son aptitude à faire éclore des fleurs
du mal rhétoriques, à se délecter de charognes poétiques ou de cadavres exquis, c’est-à-dire
à faire sens dans un univers insensé, à donner forme dans un monde détruit ; jusqu’au
point où il faudra également dessiner ses probables limites et faire apparaître, sous
sa forteresse caustique et ravageuse, la peau écorchée d’une figure poétique épuisée
par l’intensité de l’épreuve.
Mots clés : Ted Hughes, Julia Kristeva, Crow, Corbeau, Poésie, Charognes poétiques, Cadavres exquis
L’impertinence : Crow, poète charognard d’un monde détruit
C’est d’une invitation du graveur et dessinateur Leonard Baskin que naît le projet du poète Ted Hughes de « faire un livre sur les corbeaux », de raconter la « vie légendaire d’un corbeau à la puissance symbolique » (Winter Pollen 243).1 Sa correspondance, dans les années 1960, retrace les étapes de la genèse de son recueil de poèmes : dans une lettre datant d’octobre 1966, il évoque les réjouissants « vers de mirliton » qu’il compose, dans une tonalité « rudimentaire, primitive », pour ce « conte traditionnel épique » qui relate les aventures d’un oiseau « très rustre, presque analphabète, très brutal, qui ne connaît presque rien » (Letters of Ted Hughes 261).2 La « saga » de Crow doit décrire les multiples épreuves qui se présentent à lui, sa « descente aux Enfers » (LTH 297).3
Dans une lettre datant de mars 1970, Ted Hughes écrit : « I finished my CROWS–or rather, I stopped writing at them. I got him right to the bottom of the inferno where in piercing together the fragments of the beloved he himself is reduced to a scattered skeleton–and at that point the world intervened. So there his bones still are. I haven’t written a word since–for a year to the day » (LTH 304). Lui-même à bout de forces, il renonce et rassemble les textes produits depuis ce « nadir » (LTH 303) où Crow et lui ont plongé, comme pour « s’en débarrasser » (LTH 307) définitivement.4 Les chants et les aventures de Crow finalement publiés entre 1967 et 1973 ne sont donc que l’ébauche parcellaire d’une entreprise poétique laissée à l’abandon, comme le suggère même le sous-titre de l’édition la plus connue, « From the Life and Songs of the Crow », publiée par les éditions Faber en octobre 1970.5
Le recueil conserve cette ambivalence : il met en scène la danse macabre d’une créature effrénée, où un éclat de rire, dévastateur ou désespéré, se renverse trop vite en sanglot. Le corbeau de Ted Hughes est un « démon indestructible », rustre et opportuniste, qui ne « laisse jamais la souffrance l’abattre ou la mort avoir de raison de lui », qui poursuit sa route « à grand fracas, avec une joie débordante », et en qui se rencontrent « le fripon, le héros, le saint et le simple d’esprit » (Winter Pollen 241).6 Pourtant, l’univers désolé et lugubre dans lequel il évolue révèle une autre facette de l’entreprise poétique de Ted Hughes.
Dans son recueil, il veut aussi montrer les conséquences effroyables de la cupidité et de la barbarie des hommes de son temps, dans un monde qui connaît les autodafés, les génocides et les catastrophes nucléaires : il décrit un univers saccagé, transformé en un champ de bataille, un champ de ruines laissé à l’abandon, où triomphe son corbeau, « roi de la charogne », au moment où un dernier hurlement frappe l’air avant d’être englouti par le silence :
The empty world, from which the last cry
Flapped hugely, hopelessly away
Into the blindness and dumbness and deafness of the gulf
Returning, shrunk, silent
To reign over silence.
(« King of Carrion », CP 209)
C’est dans cette tension déchirante entre rires et pleurs, hurlements et silence, que le poète forge le langage « super-simple » et « super-laid » de son gauche corbeau :
The first idea of Crow was really an idea of a style. In folktales the prince going on the adventure comes to the stable full of beautiful horses and he needs a horse for the next stage and the king’s daughter advises him to take none of the beautiful horses that he’ll be offered but to choose the dirty scabby little foal. You see, I throw out the eagles and choose the Crow. The idea was originally just to write his songs, the songs that a Crow would sing. In other words, songs with no music whatsoever, in a super-simple and a super-ugly language which would in a way shed everything except just what he wanted to say without any other consideration and that’s the basis of the style of the whole thing. (Faas 208)
Ted Hughes compose comme sous « pression » avec la volonté d’à la fois épurer et concentrer la force stylistique des chants de Crow, oiseau monocorde qui, rêvant du paradis, erre dans les enfers.7 Il semble possible de retrouver dans cette écriture ce que Julia Kristeva dit de celle de Louis-Ferdinand Céline, quand elle fait valoir l’efficacité redoutable d’un style qui « se dépouille de plus en plus sec, précis, fuyant la séduction pour la cruauté, mais toujours hanté par la même préoccupation : toucher au nerf intime » (Pouvoirs de l’horreur 261). Ted Hughes, lui aussi, parle d’une voix brute et écorchée, écarte tous les artifices, révélant, comme le formule Kristeva, « l’inhumanité même de la langue, la plus radicale donc, touchant à la garantie ultime de l’humanité qu’est le langage » (ibid.).8
Crow s’affirme lui-même dans le recueil comme une figure contestataire, impertinente et équivoque : il est d’un côté polémique, caustique et cruelle, dérangeant systématiquement ce que l’homme a institué, mais de l’autre, il demeure un personnage anémique, creux et criard, qui renvoie à tout ce qui du monde a sombré dans l’insensé et l’insignifiance. Dans le recueil, s’établit un étrange rapport entre la carence et la profusion, entre la volonté affichée du poète de composer avec le moins de moyens possible, et la débauche d’effets rhétoriques dont il use pourtant, entre, aussi, la vanité d’une quelconque entreprise quand tout vient à manquer et l’hystérie hyperactive du corbeau agité comme un épouvantail en désespoir de cause. Lorsque, dans « The Battle of Osfrontalis » (CP 213-4), Crow en danger se contente de bâiller, il gaspille avec nonchalance le souffle qui manque tant à l’humanité qui expire, dans un monde où plus rien ne mérite d’être sauvé. Il devient alors l’inhumain poète charognard, le seul que peut encore s’offrir cette humanité en faillite et dont les fleurs de rhétorique répandent les effluves de tout le mal que les hommes ont pu se faire.
Dans le recueil, en effet, tout renvoie à l’échec de l’homme à comprendre son environnement et les êtres qui l’entourent. En raison de cette fracture primordiale, rien ne peut éclore et prospérer, et l’homme coupé de ses racines est condamné au flétrissement, au pourrissement et à la dissolution. Ainsi, le hurlement initial de « Lineage » (« At the beginning was Scream » [CP 218]) réduit le magistral récit génésique à une absurde liste de causalités qui tourne stérilement en rond pour revenir à ce cri premier et terminal, celui du corbeau venant de naître et réclamant du « sang », des « larves », des « croûtes », « n’importe quoi », depuis « son nid crasseux » :
[…] Crow
Screaming for Blood
Grubs, crusts
Anything
Trembling featherless elbows in the nest filth
(« Lineage », CP 218)
Les sept parties du poème « A Kill » (CP 211-2) retracent également l’anti-genèse ignominieuse d’un être qui ne naît que pour souffrir et mourir, endurant un calvaire insoutenable en chaque point de son corps matraqué, flagellé, étranglé, crucifié et réduit en charpie. Dans le recueil, la description des corps mutilés est accompagnée de détails soulignant leur putréfaction : la blessure non guérie, la souillure non lavée sont progressivement rongées par la gangrène. Par exemple, dans « Crow’s Song about God » (CP 270-2), les débris pourrissants du corps humain stagnent, comme des parasites, dans la « vase ocre » d’une mare, sous les décombres d’une décharge : « like the leech life, / In a slime and ochre pond / Under the smouldering collapse of a town dump »
Dans « Crow Blacker than Ever » (CP 244), la terre et le ciel craquent, eux aussi : tout « se gangrène et empeste » (« Then Heaven and earth creaked at the joint / Which became gangrenous and stank »), transformant le monde en une « horreur hors de toute rédemption » (« A horror beyond redemption »), où plus rien, des hommes, de leur Dieu ou de leur langage, ne pourra être sauvé. La langue empoisonnée du corbeau (« his tongue moved like a poisoned estuary » [CP 232]) répand son venin et fait son lit partout : dans « Two Legends » (CP 217), la répétition obsessive du mot « black » ramène la terre tout entière à son indépassable noirceur (« Black is the earth-globe »). C’est « l’horreur de la Création » (« the horror of Creation »), encore évoquée dans « Crow Alights » (CP 220-1), dispersant « les dernières étoiles dans les ténèbres et le néant » : « He saw the stars, fuming away into the black, mushrooms of the nothing forest, clouding their spores, the virus of God ».
Comme « Lineage » le suggère, seul Crow peut faire son nid dans ce monde défait, dernier rejeton d’une démiurgie insensée, roi souverain de la charogne qui, depuis « son palais de crânes » (« His palace is of skulls » [CP 209]), exulte à voir triompher la gangrène et le miasme. Dans « Crow Blacker than Ever » (CP 244), l’oiseau, brandissant le « noir drapeau de lui-même » (« Flying the black flag of himself »), le confirme : telle est bien sa Création, son chef d’œuvre absolu : « This is my Creation ». C’est sur l’art poétique de ce poète qu’il convient donc de se concentrer pour révéler son aptitude à faire éclore des fleurs du mal rhétoriques, à se délecter de charognes poétiques ou de cadavres exquis, c’est-à-dire à se repaître dans l’abondance là où tout manque, à faire sens dans un univers insensé, à donner forme dans un monde détruit ; jusqu’au point où il faudra également dessiner ses probables limites et faire apparaître, sous sa forteresse caustique et ravageuse, la peau écorchée d’une figure poétique épuisée par l’intensité de l’épreuve.
Corbeau maître-chanteur : charognes poétiques et cadavres exquis
La folle impertinence de Crow est à la fois perspicace et divertissante, mais aussi dangereuse, égoïste et destructrice.9 Il est d’une part une figure incontournable du carnaval, celle du bouffon du roi, dont l’adresse, tour à tour, émerveille, amuse et inquiète.10 Il est d’autre part un démon charognard qui cherche seulement à satisfaire ses intérêts personnels, délivrant un message en lambeaux à des hommes dont les vérités pourrissent, dont la vie n’a plus de sens. « Song for a Phallus » (CP 248-50) constitue l’exemple le plus magistral de l’art poétique du bouffon charognard qui se délecte de piller et de réduire en charpie la plus belle de ses prises, à savoir le mythe d’Œdipe, révélant d’un même geste la souillure qui entache le langage aussi bien que les vérités humaines.
Dans le premier vers du poème, « There was a boy was Oedipus », la formule existentielle « There was », qui introduit de nombreux autres poèmes de Crow, reprend les codes du conte, mais elle est immédiatement mise à mal par le hoquet syntaxique que représente l’omission d’un pronom relatif. De la même manière, plus tard, le décroché syntaxique opéré par la reprise pronominale, « Oedipus he », met à mal la noblesse de la figure mythique. Le vers trébuche maladroitement, comme le héros boiteux, « aux pieds enflés », rendant d’autant plus frappant le vocabulaire relâché employé par la suite.
Le discours poétique du corbeau bascule notamment dans la coprolalie : les insultes et les jurons éructés au cours du poème font valoir le caractère ordurier du langage des hommes, devenu charogne putrescente dont Crow se délecte. Par exemple, lorsqu’il rappelle la prophétie qui menace son autorité, Laïos déclare : « Because a Dickybird / Has told the world when you get born / You’ll treat me like a turd ». « Dickybird » désigne ici la Pythie de Delphes, et il est significatif à cet égard, que la huitième strophe soit le lieu d’un climax en termes de vulgarité langagière, car c’est justement la Pythie qui s’y exprime : « You murderous little sod / The Sphinx will bite your bollocks off ». Déjà ridiculisée par son surnom, c’est elle, dont les paroles sont normalement prophétiques et sacrées, qui prononce les mots les plus orduriers du poème.
La dégradation du langage et la dévalorisation du mythe font pourtant basculer le poème du malaise vers l’exultation : il offre une série d’épisodes carnavalesques particulièrement jouissifs pour le corbeau bouffon. Au sens littéral, le « carnaval » est le moment précédant le carême où la « - viande » est « levée » (carne-levare).11 Lorsque Laïos veut empêcher la mise au monde de son fils, il ordonne : « You stay in there » ; il trahit une soif de domination absurde et meurtrière, puisqu’il veut empêcher son fils de sortir du ventre de sa mère. Il tente littéralement de carne-levare, d’empêcher le surgissement de la chair de sa chair, agent de la prophétie qui menace son autorité. Ainsi, le carnaval, moment du renversement des hiérarchies, révèle que même les nobles Labdacides ne sont que les pantins impuissants du destin mais ce faisant, c’est aussi le mythe d’Œdipe qui est livré au corbeau dévorateur, devenu maître-chanteur tout puissant d’un monde transformé en un charnier dont il se régale.
Dans le recueil, le corbeau semble évoluer avec de plus en plus de facilité. Si ses aventures invitent à remettre en question les fondations et la valeur du langage des hommes et de leurs vérités, lui, l’oiseau incapable de chanter, fait preuve d’une habileté croissante à en maîtriser les codes et à se les approprier. Le poète charognard s’adonne notamment, et fort à propos, au jeu des cadavres exquis. Dans « Two Legends » ou « Lineage », par exemple, les structures anaphoriques qui organisent une partie du texte, à travers la reprise de la formule « Black was… / Black is… » ou de la formule « Who begat… », à chaque fois complétées par un nouvel élément, donnent l’impression que le texte est le lieu d’un exercice ludique de composition à l’aveugle.
Black was the without eye
Black the within tongue
Black was the heart
Black the liver, black the lungs
Unable to suck in light
Black the blood in its loud tunnel
Black the bowels packed in furnace
Black too the muscles
Striving to pull out into the light
Black the nerves, black the brain
With its tombed visions
Black also the soul, the huge stammer
Of the cry that, welling, could not
Pronounce its sun.
(« Two Legends », CP 217)In the beginning was Scream
Who begat Blood
Who begat Eye
Who begat Fear
Who begat Wing
Who begat Bone
Who begat Granite
Who begat Violet
Who begat Guitar
Who begat Sweat
Who begat Adam
Who begat Mary
Who begat God
Who begat Nothing
Who begat Never
Never Never Never
Who begat Crow […]
(« Lineage », CP 218)
La règle est simple dans « Examination at the Womb-Door » : la simploque ajoute à la reprise anaphorique de la question « Who own this… » ou « Who own these… », la brutale et systématique réponse épiphorique, « Death » :
Who owns those scrawny little feet? Death.
Who owns this bristly scorched-looking face? Death.
Who owns these still-working lungs? Death.
Who owns this utility coat of muscles? Death.
Who owns these unspeakable guts? Death.
Who owns these questionable brains? Death.
(« Examination at the Womb-door », CP 218-9)
Dans « The Black Beast », en revanche, il ne suffit plus de répondre à la question « Where is the Black Beast » par un ou quelques mots : il faut composer une phrase entière puisque, de toute manière, chacune des réponses apportées laisse à désirer. Dans « How Water Began to Play », puisque l’eau est joueuse, il faut composer non pas avec un seul terme, mais parvenir à jongler avec trois propositions (« It went to… », « it came weeping back » et « Water wanted to live », jusqu’à son symbolique renversement, « it wanted to die ») :
Where is the Black Beast?
Crow, like an owl, swivelled his head.
Where is the Black Beast?
Crow hid in its bed, to ambush it.
Where is the Black Beast?
Crow sat in its chair, telling loud lies against the Black Beast.
Where is it?
Crow shouted after midnight, pounding the wall with a last.
Where is the Black Beast?
Crow split his enemy’s skull to the pineal gland.
Where is the Black Beast?
(« The Black Beast », CP 223-4)Water wanted to live
It went to the sun it came weeping back
Water wanted to live
It went to the trees they burned it came weeping back
They rotted it came weeping back
Water wanted to live
It went to the flowers they crumpled it came weeping back
It wanted to live
It went to the womb it met blood
It came weeping back
It went to the womb it met knife
It came weeping back
It went to the womb it met maggot and rottenness
It came weeping back it wanted to die […]
(« Two Eskimo Songs. II. How Water Began to Play », CP 257)
Dans « Amulet », enfin, la sophistication du jeu le confirme : l’inventivité des formules que l’apprenti-sorcier propose l’une après l’autre, au gré des anadiploses, sont les sortilèges qui assurent le succès du tour de magie poétique.
Inside the wolf’s fang, the mountain of heather.
Inside the mountain of heather, the wolf’s fur.
Inside the wolf’s fur, the ragged forest.
Inside the ragged forest, the wolf’s foot.
Inside the wolf’s foot, the stony horizon.
Inside the stony horizon, the wolf’s tongue.
Inside the wolf’s tongue, the doe’s tears.
Inside the doe’s tears, the frozen swamp.
Inside the frozen swamp, the wolf’s blood.
Inside the wolf’s blood, the snow wind.
Inside the snow wind, the wolf’s eye.
Inside the wolf’s eye, the North star.
Inside the North’s star, the wolf’s fang.
(« Amulet », CP 260)
Dans « Lullaby », la reprise de la formule « Baby bawled for Mama » au début et à la fin du texte encadre une série de virelangues particulièrement bruyants qui contredisent le programme annoncé par le titre :
Baby bawled for Mama – skull savaged it,
Death-hunger anger, the kissless trap-clamp,
Baby bawled for Mama – skeleton skelped it,
Clash of crockery knuckles, the shatter-bottle bones.
Baby bawled for Mama – grave grinned, gripped it,
Windowgap teeth and a flagfloor tongue,
Crawled toward the cupboard, Baby bawled for Mama.
(« Lullaby », CP 265)
Le conte paisible censé assoupir l’enfant devient une vanité inquiétante, qui se concentre sur une scène d’accouchement à la fois burlesque et dérangeante, où la parturiente, veillée par la mort, accouche d’une créature étrange aux allures de reptile (« Bestrid the thing, between her thighs she trapped it, throttled it / Till the snake-face gaped »). La transfiguration de la berceuse, inquiétée aussi bien dans sa forme que dans son propos, atteste le talent polémique du corbeau qui en vient à maîtriser avec brio les règles du langage des hommes et à déranger leurs vérités.
En réalité, le « vertige » provoqué par le langage du corbeau révèle « la vérité fondamentale de l’écriture » étudiée par Julia Kristeva dans Pouvoirs de l’horreur : la « vulgarité » et la « sexualité » de certains poèmes de Crow comme « Song for a Phallus » ont effectivement pour objectif de « resensibiliser la langue » afin « qu’elle palpite plus qu’elle ne raisonne », revalorisant sa puissance signifiante dans un monde détruit (PH XX). À ce titre, l’énergique musicalité des mots de Crow que célèbre le frénétique carnaval dont il est le roi, est celle « du fond des choses », qui se dissimule dans le « pli-catastrophe » où l’émotion se « renverse » en son, « à cette charnière entre corps et langue » (PH XX).12
La rhétorique boiteuse, ou le « rigodon sans fin, pour rien »
Dans sa correspondance et ses réflexions critiques, Ted Hughes insiste sur ses efforts de simplification et de densification du langage de Crow et sur la force physique et musicale des mots employés. Dans un essai repris dans Winter Pollen, il souligne par exemple s’être plié à des règles mélodiques, et avoir fondé son travail d’écriture sur le choix d’un « vocabulaire élémentaire aux racines physiques, kinesthésiques, comme celles de la musique » (WP 242-3).13 Dans une lettre adressée au critique Keith Sagar datant de 1973, il évoque sa volonté de se débarrasser de tout élément superflu pour parvenir au noyau « le plus élémentaire et limpide » du langage et le rendre capable d’animer la réalité qu’il convoque (LTH 340).14 Dans sa réponse aux questions de la chercheuse Anne-Lorraine Bujon, enfin, Ted Hughes l’affirme : c’est la matière même du langage, qu’il qualifiait de « super-simple » et « super-laid » auprès du critique Ekbert Faas (Faas 208), qui doit exposer la laideur et le chaos du monde.15
Cette force sonore de l’art poétique développé par Crow engage effectivement le langage d’un point de vue physique, jusqu’à faire valoir le corps des mots, exploitant toutes les ressources offertes par la typographie. Par exemple, le recours à des caractères italiques dans « Robin Song » met en avant l’élégante sophistication des quatrains, et dans « Crow and Stone », elle met au premier plan la conclusion du texte, alors que l’envol de l’oiseau coïncide avec l’envoi poétique.
I am the hunted king
Of the frost and big icicles
And the bogey cold
With its wind boots.
(« Robin Song », CP 235)And still he who never has been killed
Croaks helplessly
And is only just born
(« Crow and Stone », CP 253)
Le poète profite également des possibilités offertes par la mise en majuscules de certains termes et du choc sonore, presque magique, provoqué par cette mise en avant visuelle. Si dans « Crow Hears Fate Knock on the Door », le recours aux majuscules grave physiquement sur la page la prophétie qui guidera le corbeau, dans « Truth Kills Everybody », l’onomatopée « BANG! » souligne l’impact assourdissant de l’explosion qui a raison de l’oiseau.
Yet the prophecy inside him, like a grimace,
Was I WILL MEASURE IT ALL AND OWN IT ALL
AND I WILL BE INSIDE IT / AS INSIDE MY OWN LAUGHTER
AND NOT STARING OUT AT IT THROUGH WALLS
OF MY EYES’S COLD QUARANTINE
FROM A BURIED CELL OF BLOODY BLACKNESS –
This prophecy was inside him, like a steel spring
Slowly rending the vital fibres.
(« Crow Hears Fate Knock on the Door », CP 221-2)And he held it he held it and held it and
BANG!
He was blasted to nothing.
(« Truth Kills Everybody », CP 252-3)
La maîtrise formelle de Crow s’illustre aussi par les espacements intempestifs qui séparent anormalement les mots du texte, faisant valoir visuellement les silences qui trouent ses chants, alors que les répétitions qui structurent souvent ces passages accentuent une impression de stupéfaction et de terreur. Par exemple, dans « Crow Alights », il cligne des yeux, en vain : la scène de terreur face à lui ne veut pas disparaître. Au début de « Crow’s Last Stand » comme à la fin de « Crow’s Battle Fury », le vers se démantèle, renforçant l’impression d’égarement du corbeau qui bégaie, peinant à faire sens du cauchemar dans lequel il évolue.
Crow blinked. He blinked. Nothing faded.
Burning burning burning there was finally something (« Crow’s Last Stand », CP 210)
He comes forward a step, and a step, and a step –
À la fin de « Crow Tyrannosaurus », la violence du monde finit par avoir raison du corbeau, qui ferme les yeux et les oreilles alors que le spectacle épouvantable de l’humanité criminelle s’inscrit sur la page, reflet noir d’une poésie-calligramme en décomposition : c’est le « kakogramme » où se désagrègent les vers.
But his eye saw a grub. And his head, trapsprung, stabbed.
And he listened
And he heard
WeepingGrubs grubs He stabbed he stabbed Weeping
Weeping
Weeping he walked and stabbedThus came the eye’s roundness the ear’s deafness.
Dans « Crow Blacker than Ever » (CP 244), le hoquet grammatical disgracieux qui provoque la répétition immédiate du nom « God » (« Man could not be man nor God God ») fait valoir le mur auquel les mots aveugles des hommes se heurtent. Plus rien ne semble possible que le vide et le silence, au bout du voyage.16 Pourtant, même là, l’astucieux poète charognard parvient à trouver d’autres moyens pour faire émerger le sens, d’une manière oblique. Le langage endosse alors une fonction métonymique, qui exploite sa forme écorchée mais encore vive, plutôt que son fond déjà putrescent.
« Crow and the Birds » constitue un modèle de l’aptitude que l’oiseau manifeste à cet égard, derrière son apparente désinvolture. Dans le dernier vers du poème, l’image apparemment insensée de l’oiseau en train d’engloutir une crème glacée, au beau milieu d’une décharge, dans un monde détruit, n’offre pas seulement un spectacle désolant. La charge homophonique des mots met en avant ce qui caractérise le corbeau encore davantage que sa propension à satisfaire son appétit glouton. Dans la formule « guzzling a dropped ice cream » (CP 210) résonne le cri (« I scream ») que Crow pousse de toutes ses forces. C’est de façon détournée que le poète use du langage, lui faisant dire autre chose que ce qu’il écrit, dédoublant ses fonctions, retardant l’advenue d’un sens second rescapé de la débâcle.
Ailleurs, Crow s’exprime encore différemment : dans « The Battle of Osfrontalis » (CP 213-4), il ne prononce pas un seul mot, mais siffle (« whistled »), joue de son bec (« Crow clapped his beak, scratched it ») et, lassé, finit par bâiller (« And Crow yawned »). De la même manière, dans « Crow’s Fall » (CP 227-8), il pousse des cris menaçants avant de se lancer à l’assaut du soleil (« His battle cries »), rit à gorge déployée (« He laughed himself to the centre of it »), bat de l’aile, montre des griffes, ou claque du bec (« He clawed and fluffed his rage up. / He aimed his beak »). Lui qui quitte de façon répétée la scène du poème d’un battement d’ailes, sait parfaitement évoluer dans l’air et jouer avec lui.17 Il use du souffle nécessaire à l’homme pour prononcer ses vocables, le possédant de tout son corps lorsqu’il dévore des bribes d’air et les déchire de son bec pour produire des crissements intimidants, ou qu’il semble l’empoigner d’un mouvement de serre. Crow fait valoir la charge signifiante que le souffle et les bruits les plus élémentaires peuvent encore endosser, ménageant un ultime espace de respiration au cœur du recueil. Le langage devient ainsi le porteur mécanique d’un sens qui émerge dans ses creux, presque malgré lui : pour reprendre les termes de Kristeva, il crisse, boite et grince, langage maladroit d’un gauche corbeau, seul moyen « d’articuler de façon authentique » (Soleil noir 233) la douleur dont souffre une humanité sans plus aucun recours.18
Parmi les moyens d’expression privilégiés par le corbeau bouffon, figure aussi logiquement le rire. Dans « A Childish Prank » (« Crow laughed », « Crow went on laughing » [CP 215-6]) ou « Crow and Mama » (« When Crow cried his mother’s ear / Scorched to a stump », « When he laughed she wept » [CP 219-20]), le rire de Crow est directement opposé à la souffrance d’autres personnages, suggérant l’indifférence, la bêtise ou la cruauté de l’oiseau (« O it was painful »). Le rire trahit également son étrange lien avec le chagrin : le corbeau se tord de rire jusqu’à pleurer, il semble littéralement sur le point de mourir de rire. Dans « Crow’s Battle Fury », la force destructrice du rire est poussée à l’extrême : Crow, hilare, perd le contrôle de son corps (« He bellows laughter till the tears come », « He rolls on the ground helpless »), et le rire qui le saisit, le tourmente jusqu’à le briser. Dans « In Laughter », le rire ponctue de façon ironique des événements sordides de la vie des hommes, et finit, comme dans le poème précédent, par détruire un corps humain qui se décompose en pièces éparses : les éclats de rire deviennent des éclats d’obus qui font exploser le corps.
His temple-veins gnarl, each like the pulsing head of a month-old baby,
His heels double to the front,
His lips lift off his cheekbone, his heart and his liver fly in his throat,
Blood blasts from the crown of his head in a column –
(« Crow’s Battle Fury », CP 243-4)The ears and eyes are bundled up
Are folded up in the hair,
Wrapped in the carpet, the wallpaper, tied with the lampflex
Only the teeth work on
And the heart, dancing on in its open cave
Helpless on the strings of laughter
While the tears are nickel-plated and come through doors with a bang
(« In Laughter », CP 233)
Dans ces textes, le contraste entre l’horreur et l’hilarité devient insoutenable : mais plutôt que de conforter l’hypothèse de l’intolérable insensibilité de Crow vis-à-vis de ce qui l’entoure, elle expose bien plutôt la façon dont l’humanité a sombré dans la folie, la barbarie et le non-sens, en faisant basculer la description dans une outrance telle qu’elle en devient improbable et proprement insignifiante. L’apocalypse de Crow est donc une « apocalypse qui rit », cette « mystique noire de l’érasement transcendantal », à la « beauté brillante et dangereuse », évoquée par Julia Kristeva dans Pouvoirs de l’horreur (242). Le poétique du charognard fait retentir cette même musique et le rythme du « rigodon sans fin, pour rien » (ibid.).19 L’illusion se dissipe, révélant ses artifices grossiers, mais aussi la fonction la plus essentielle du corbeau bouffon. Lorsque le rire éclate, le cauchemar s’interrompt, rappelant que la scène du poème n’est pas un vrai champ de bataille et que la guerre n’aura pas lieu sur ses planches : une fois le livre refermé, en revanche, l’impact des guerres qui ont détruit le monde n’en semble que plus tragique.
L’improvisation et l’inhumanité : Crow et le poète écorché
Le récit que le corbeau relate est celui d’un irrévocable déclin : l’humanité est en train de tout perdre, et révèle progressivement son inhumanité. Dans « Crow and the Birds », où Crow tient le registre de sa propre espèce, le même mouvement de régression qu’il décrit ailleurs en retraçant l’histoire des hommes (dans « Criminal Ballad » ou « A Bedtime Story ») devient perceptible.
When the eagle soared clear through a dawn distilling of emerald
When the curlew trawled in seadusk through a chime of wineglasses
When the swallow swooped through a woman’s song in a cavern
And the swift flicked through the breath of a violet
When the owl sailed clear of tomorrow’s conscience
And the sparrow preened himself of yesterday’s promise
And the heron laboured clear of the Bessemer upglare
And the bluetit zipped clear of lace panties
And the woodpecker drummed clear of the rotovator and the rose-farm
And the peewit tumbled clear of the laundromat
While the bullfinch plumped in the apple bud
And the goldfinch bulbed in the sun
And the wryneck crooked in the moon
And the dipper peered from the dewball
Crow spraddled head-down in the beach-garbage, guzzling a dropped ice-cream.
(« Crow and the Birds », CP 210)
Ici, l’accumulation d’anaphores tente de masquer la force implacable du mouvement que le récit fait valoir, à savoir celui du déclin des oiseaux, qui sert de reflet à celui du naufrage de l’humanité. Les anaphores, en outre, deviennent les rimes renversées en début de vers d’un oiseau cacophonique, essayant à tout prix de chanter. « Crow and the Birds », long de quinze vers, devient un sonnet défiguré, qui avance à reculons, jusqu’à la rupture : au premier quatrain, structuré par une série d’anaphores (« When / When / When / And ») est offert le reflet de ce motif anaphorique, dans un second quatrain gommé (« When / And / And / And »). Suit un premier tercet, complémentant le jeu des variations anaphoriques (« And / And / While »), et dont le rythme est définitivement brisé par l’addition d’un « And » supplémentaire et la disparition du « While » conclusif attendu (« And / And / And »), dévoré par l’oiseau, objet du spectacle désolant sur lequel se referme le texte. Le dernier vers, celui de trop pour un sonnet, fait logiquement entrer en scène l’intrus, le glouton distrait par une simple crème glacée : il est l’improbable poète qui, sans même s’en apercevoir, pousse un glapissement (« I scream »), qui sert de dernier cri funèbre à l’humanité en faillite.
Crow ne raconte pas seulement l’histoire du déclin des hommes mais il retrace aussi celle de la régression de leur langage. « Crow Improvises » (CP 242) le met plus que jamais en évidence. Inhumaine est l’humanité sans plus aucun repère. Plus rien n’a de sens ou d’importance dans un monde où les crânes deviennent les vestiges d’une mort infligée « aimablement » (« the humane-killed skull of a horse »), où naissance et trépas se confondent quand le sursaut d’éternuement d’un nouveau-né (« his birth-sneeze ») rappelle le frisson donné par la mort (« death-chill »). Crow tente de raconter au mieux l’histoire des hommes, mais il peine à faire des liens, il s’embourbe dans des détails inutiles.
L’organisation duelle du poème « Crow Improvises », fondée sur la reprise anaphorique de deux propositions, avec d’un côté les gestes du sujet humain (« So he… »), et de l’autre la réaction de cet « éclair » (« The spark ») qui met à mal tous ses efforts, alourdit le chant de l’oiseau. Il s’accroche à cette structure linéaire comme à un motif musical qui pourrait l’aider à se lancer dans son improvisation, mais duquel il ne parvient pas à s’extraire. La formule finale, qui décrit les rires, les cris et les murmures des hommes, tous condamnés à la dissolution, le révèle : « the rubbish heap of laughter / Screams, discretions, indiscretions etcetera ». Le dernier mot du vers, « etcetera », laisse le poème suspendu, mettant en avant un moment d’épuisement énonciatif, qui coupe court le chant de Crow, et voue au néant le temps de l’improvisation, de l’écriture et des vies humaines.
En dépit des velléités poétiques du corbeau à mettre en avant, par des jeux d’échos et des formules bien trouvées, une temporalité alternative et une voie de traverse qui pourraient contrarier le cours sinistre de l’histoire humaine, les ruptures entraînées par les apartés, introduits, dans le poème, par un tiret de séparation, suggèrent avant tout que l’oiseau improvisateur, comme l’homme vivant de bric et de broc, tente tant bien que mal de gagner du temps dans une situation de profond chaos. À ce titre, si la question de la progression morale de Crow, en tant que fripon, demeure sans réponse dans le recueil, le lecteur doit, de même, se demander si le corbeau comprend seulement ce qu’il raconte, s’il est vraiment l’auteur de ces histoires et de ces chants dont il demeure parfois complètement absent.20
Si l’oiseau peine à improviser et finit par atteindre les limites de son art, c’est parce que c’est au stade du brouillon qu’il exprime le mieux la vérité d’un univers lui-même réduit à l’état de dépouille. « Notes for a Little Play » met en scène un monde définitivement détruit par les bombes. Deux figures survivent encore dans l’éclat nucléaire, tels deux « objets étranges qui demeurent dans les flammes » :
The demolition is total
Except for two strange items remaining in the flames –
Two survivors, moving in the flames blindly.
Mutations – at home in the nuclear glare.
Horrors – hairy and slobbery, glossy and raw.
They sniff towards each other in the emptiness.
They fasten together. They seem to be eating each other.
But they are not eating each other.
They do not know what else to do.
They have begun to dance a strange dance.
And this is the marriage of these simple creatures –
Celebrated here, in the darkness of the sun,
Without guest or God.
(« Notes for a Little Play », CP 212)
Si Crow est l’auteur de ces quelques notes dramaturgiques, il est un instant saisi de poésie, comme en témoigne la très grande harmonie rythmique du texte. Cependant, sa maîtrise technique ne dissimule pas sa difficulté à interpréter le comportement de ces deux figures. La maladresse tautologique de la formule « they have begun to dance a strange dance », accrue par la litote qui évite, comme par pudeur ou dégoût, d’évoquer leurs ébats , le trahit : Crow demeure irrémédiablement à l’écart, incapable, comme le soulignaient les réflexions de Ted Hughes, malgré tous ses efforts, de « devenir complètement homme » (Sagar 174) ; il est l’oiseau impertinent, définitivement inhumain.21 Crow assiste au « mariage de ces simples créatures » qui a lieu dans le vide absolu des « ténèbres du soleil, sans convive ni Dieu » (« Without guest or God ») : c’est une performance insignifiante qu’annonce le titre du poème, à laquelle plus personne n’a besoin d’assister parce que le néant s’apprête à tout engloutir sur la scène d’un monde inhumain.
Le poète bouffon, roi de la charogne et du carnaval, n’est, en fin de compte, pour reprendre les termes de (Julia) Kristeva, ni « comédien » ni « martyr », ou bien il est « les deux à la fois, comme un véritable écrivain qui croit à sa ruse » :
Il appelle ce qui, en nous, échappe aux défenses, aux apprentissages, aux paroles, ou qui lutte contre. Une nudité, un abandon, un ras-le-bol, le malaise, une déchéance, une blessure. Comédien ou martyr ? Ni l’un ni l’autre, ou les deux à la fois, comme un véritable écrivain qui croit à sa ruse. Il croit que la mort, l’horreur, c’est l’être. Mais brusquement, et sans crier gare, voilà que la plaie nue, de sa douleur même et par l’artifice d’un mot, s’auréole, comme il dit, d’un “ridicule petit infini”, aussi tendre, gorgé d’amour et de rire gai que d’amertume, de dérision implacable et de lendemain impossible. (PH 159)
Dans ce poème, la voix du corbeau hésitant, endolori, déraille et, en réalité, c’est dans ce déséquilibre, au point le plus risqué d’une expérience de l’inhumanité, de l’impertinence et de l’improvisation, qu’apparaît, dans l’économie de tout le recueil, la possibilité d’un nouveau souffle, dans la nudité d’une parole qui laisse enfin apparaître ses blessures ; qui laisse donc voir, sous sa forteresse, « une peau écorchée ».22
Notes
- 1« Perhaps it should be said that Crow grew out of an invitation by Leonard Baskin to make a book with him simply about crows. He wanted an occasion to add more crows to all the crows that flock through his sculptures, drawings, and engravings in their various transformations. As the protagonist of a book, a crow would become symbolic in any author’s hands. And a symbolic crow lives a legendary life. That is how Crow took off » (Winter Pollen 243).
- 2À Daniel Huws, le 27 octobre 1966 : « And I’ve been writing lots in the history, songs, discourses, bedtime stories & general doggerel of one, Crow. Crow is very crude, nearly illiterate, very rough, & has not heard of most things, but he’s a relief, after the poems I put all together & sent off a couple of months ago. » (Letters of Ted Hughes 261). À Richard Murphy, le 20 janvier 1967 : « I got writing some new things–very plain ballad fables which will be O.K., I think, if I don’t write more than about 40. They are the various Songs, bed-time stories, parables & visions of The Crow–who sings on one base, brutish note. I’ll send you some when I get them typed» (ibid. 267). À Leonard Baskin, le 2 mars 1968 : « The CROW project did not fade, it’s grown into a folk epic which will be the length of a novel–Bushman prose but more poems than prose. God has a nightmare–a Voice attacks him. He cannot understand what is wrong. Man comes to heaven and asks to be permitted to cease to exist since life is too awful. God is flabbergasted hearing these words from his prime creation. The Voice scorns man and God his creator. God finally challenges the Voice to do better. The voice creates Crow. Crow goes into the world and God tries everything to destroy him, pervert him, educate him out of himself etc–an epic of ordeals. This style of prolonged forging gradually transforms indestructible Crow into a superbeing who gets sacrificed. All through, are a great many apocryphal legends about Crow–some of which I enclose. Mainly Crow sings songs (God also sings songs and many of the objects and beings which Crow meets sing songs). I enclose one or two of Crow’s songs. No songs are typical because Crow himself gets transformed at every stage. But his songs are all in crowtalk–which is as base and crude and plain and ugly a talk as I can devise though I haven’t yet quite hit what I shall get. I enclose one or two of his songs » (ibid. 279-80).
- 3À Daniel Weissbort, automne 1969 : « In my saga Crow descends to Hell then climbs out to Paradise or a sort of quasi-Crow Paradise. Unfortunately, when I got him right at the bottom of hell […] my sporadic efforts to get him out of it in convincing shape have been hopeless. […] It is galling, though, to have had a really good and fruitful idea like that one, and then bungled it so horribly. I think I’ve past it now. I need a new hero. Perhaps Crow reconstituted in Hell is no longer Crow. Maybe I’m plugging the wrong hero » (LTH 297).
- 4La lettre citée est adressée à Ben Sonnenberg et date du 23 mars 1970 (LTH 304). Ted Hughes se confie dans de nombreuses lettres sur les affres de la création interrompue de Crow et son propre état. À Richard Murphy, le 8 mars 1969 : « Crow has dragged my life into its vortex and the quicker I get it finished the better–but everything tries to frustrate it. How do you feel about it still? There are quite a number of short poems, plus a longish, seven-chapter adventure in a sort of verse–a bit horrible, so much so that at one point I stopped, it was affecting my mind and everybody round me. But too late to stop. So now I’m pushing on. If I can get to the end I hope the end will redeem the rest somehow» (LTH 289). À Leonard Baskin, le 15 décembre 1969 : « Dear old Leonard, I hope you haven’t had a year of such poor luck as I’ve had. I’m half-inclined to suspect CROW. There are now about 45 poems concerning Crow–so I’m calling it a day, and publishing them. Whether people like them or not, they are my masterpiece. Insofar as I can manage the likeness of a masterpiece» (LTH 300). À Yehuda et Hana Amichai, le 11 mars 1970 : « I haven’t written anything for a year. I was writing a long series of poems about a Crow being, a sort of saga that puts this Crow through all sorts of extremes. At the absolute nadir it dragged me into a great depression, and Assia with me, and then the thing happened. So I have this depressing collection of poems about a Crow » (LTH 303). À Richard Murphy, octobre 1970 : « Sorry for the long silence. Herewith CROW. I’m very glad to be rid of it–I hope it means I now come from under the shadow of his horrible little wing. I wish I’d got more of it » (LTH 307).
- 5Afin d’inclure des textes non retenus dans cette édition, mais relatant des épisodes significatifs des aventures du corbeau, toutes les citations des poèmes de Crow, notées CP, font référence aux Collected Poems, également publiés par les éditions Faber en 2003.
- 6Dans un essai critique, Ted Hughes donne sa définition de la « littérature du fripon » pour mettre en évidence les caractéristiques de Crow en tant qu’incarnation de la figure du fripon, en s’inspirant notamment des thèses de C. G. Jung dans l’ouvrage de Paul Radin The Trickster (voir note 9) : « The recurrent quest of trickster, as the spirit of the sperm, is like a master plan, a deep biological imprint, and one of our most useful pieces of kit. We use it all the time, spontaneously, like a tool, at every stage of psychological recovery or growth. […] It is a series, and never properly Tragic, because Trickster, demon of phallic energy, bearing the spirit of the sperm, is repetitive and indestructible. No matter what fatal mistake he makes, and what tragic flaws he indulges, he refuses to let sufferings or death detain him, but always circumvents them, and never despairs. Too full of opportunistic ideas for sexual samadhi, too unevolved for spiritual ecstasy, too deathless for tragic joy, he rattles along on biological glee » (Winter Pollen 241).
- 7Dans son entretien avec Ekbert Faas, Hughes souligne l’influence de l’écriture de la pièce Œdipe sur la rédaction des poèmes de Crow : « It gave me a very sharp sense of how the language had to be hardened or deepened so it could take the weight of the feeling running in the story. After a first draft I realized that all the language I had used was too light. So there was another draft and then another one. And as I worked on it, it turned into a process of more and more simplifying, or in a way limiting the language. I ended up with something like three hundred words, the smallest vocabulary Gielgud had ever worked with. And that ran straight into Crow. However it was a way of concentrating my actual writing rather than of bringing me to any language that was then useful in Crow. It simply concentrated me. That was probably the main use. It gave me a very clear job to work on continually, at top pressure » (Faas 212). Plus loin, Hughes reprend cette même idée de rédaction « sous pression » pour décrire la manière dont il a composé les poèmes de Crow : « It is a quarry in that it is a way of getting the poems. So it is not the story that I am interested in but the poems. In other words, the whole narrative is just a way of getting a big body of ideas and energy moving on a track. For when this energy connects with a possibility for a poem, there is a lot more material and pressure in it than you could ever get into a poem just written out of the air or out of a special occasion » (Faas 213) (Mes italiques).
- 8Si l’œuvre et le style de L.-F. Céline et de Ted Hughes n’obéissent pas exactement aux mêmes impératifs créatifs, l’analyse livrée par Julia Kristeva dans Pouvoirs de l’horreur peut éclairer d’une façon instructive plusieurs aspects de Crow, en particulier son univers apocalyptique et la force incisive de l’écriture : « Plus spécifiquement célinienne est pourtant la noyade du récit dans le style, qui […] se dépouille de plus en plus sec, précis, fuyant la séduction pour la cruauté, mais toujours hanté par la même préoccupation : toucher au nerf intime, saisir l’émotion par le parler, rendre l’écrit oral, c’est-à-dire contemporain, rapide, obscène. Si cette écriture est un combat, il ne se gagne pas par le biais des identifications œdipiennes que produit la narration, mais par des plongées beaucoup plus profondes, lointaines et risquées. Ces plongées qui atteignent le lexique et la syntaxe apparentent l’expérience célinienne non pas au vraisemblable du romancier mais à l’inhumanité du poète. Une inhumanité même de la langue, la plus radicale donc, touchant à la garantie ultime de l’humanité qu’est le langage » (Pouvoirs de l’horreur [PH] 161).
- 9Dans The Trickster: A Study in North-American Mythology, Jung explique : « Although he is not really evil he does the most atrocious things from sheer unconsciousness and unrelatedness. […] The trickster is a primitive ‘cosmic’ being of divine-animal nature, on the one hand superior to man because of his superhuman qualities, and on the other hand inferior to him because of his unreason and unconsciousness » (Jung 203-4).
- 10« Le rire au Moyen Âge, qui a vaincu la peur du mystère, du monde et du pouvoir a témérairement dévoilé la vérité sur le monde et sur le pouvoir. Il s’est opposé au mensonge et à la flagornerie, à la flatterie et à l’hypocrisie. La vérité du rire a rabaissé le pouvoir, elle s’est accompagnée d’injures et de blasphèmes, et le bouffon en a été le porte-parole » (Bakhtine 100-1).
- 11« Dans [le système des images de la fête populaire, représenté de la manière la plus parfaite par le carnaval], le roi est le bouffon, élu par l’ensemble du peuple, tourné en dérision par ce même peuple, injurié, battu lorsque son règne s’achève, de même qu’aujourd’hui encore on tourne en dérision, bat, dépèce, brûle ou noie le pantin de carnaval qui incarne l’hiver disparu ou l’ancienne année ( “les joyeux épouvantails”) » (Bakhtine 199).
- 12« Le vertige auquel Céline s’abandonne et s’oblige pour capter l’émotion du dedans est, à ses yeux, la vérité fondamentale de l’écriture. Ce vertige le conduit jusqu’au bout d’une sorte de défi à l’abjection. C’est ainsi seulement qu’il peut, en la nommant, à la fois la faire exister et la dépasser. La “vulgarité”, la “sexualité” ne sont que des paliers vers ce dévoilement ultime du signifiant ; à la limite ces thèmes importent peu : “Ni la vulgarité ni la sexualité n’ont rien à faire dans cette histoire–Ce ne sont que des accessoires”. Le projet est de “resensibiliser la langue, qu’elle palpite plus qu’elle ne raisonne–TEL FUT MON BUT”. […] “Je connais la musique du fond des choses.” […] Au lieu précis du renversement de l’émotion en son, à cette charnière entre corps et langue, dans le pli-catastrophe entre les deux, surgit alors “ ma grande rivale, la musique ” » (Kristeva 225-6).
- 13« Considering ‘Crow on the Beach’ as a song among songs, the dominance of melody (the kind of melody that will carry a legend), in the voice of it, tends again to select for itself an elemental vocabulary–one that has, like music itself, kinesthetic or at least physical roots. That seems to have happened, sure enough, but I only offer it as an observation. I suppose a close analysis of the vocabulary might come up with some account of the melody as a variant of a certain species, pinpoint its psychosomatic characteristics, etc. Whatever that may be, the melody controlled the selection of words) as a physical act summons just the right hormones. The special function of the melody is the only law to the language of Crow » (WP 242-3).
- 14« As for the style–I simply tried to shed everything. It was quite an effort to get there–as much of an effort to stay there–every day I had to find it again. It was like hanging on to the 9·5 second 100 yards. I tried to shed everything that the average Pavlovan critic knows how to respond to. It was a wonderful sensation when I finally got there. My idea was to reduce my style to the simplest clear cell–then regrow a wholeness & richness organically from that point. I didn’t get that far. ‘Horrible Religious Error’ is a sort of fable of the idea of the confrontation in the style, I suppose, (mainly it’s Crow mis-recognizing the object of his quest)–but that was the last poem, March 20th 69, on the train leaving Manchester » (LTH 340).
- 15À Anne-Lorraine Bujon, 16 décembre 1992 : « In Crow, my notion was, again to re-simplify my language but simultaneously to break it out of dependence on a sacred object for subject–to make it narrative and in a way lyrical-dramatic. […] So, my notion was: to simplify the language and find that open but full-frontal sort of music and then, having got that far, to begin to include other elements, the colours and solidities and more intricate musics of that earlier form of simplicity and concentration. So my ideal was to somehow first get hold of this open, larger, inclusive but still top pressure simplicity–and then, complicate and solidify it with all the experience (all my grasp of the actual world, that I’d managed handfuls of in those earlier pieces) that it excluded. In other words, to bring all I’d gained into a poetry about life in general. I only got as far as the end of the simplification stage–the actual poems are When Water Began to Play, and Horrible Religious Error. Then autobiographical things knocked it all to bits, as before » (LTH 632).
- 16« Mais en réalité, c’est sur le vide que débouche, en dernière instance, ce glissement de l’émotion vers la musique et la danse. À la fin, au bout du voyage, est ainsi dévoilé le trajet complet de la mutation du langage en style sous l’impulsion d’une altérité innommable qui, passionnelle pour commencer, se rythme ensuite, avant de se vider : “Je ne me trouve bien qu’en présence de rien du tout, du vide”» (PH 226).
- 17« Crow flew guiltily off. » (« Crow’s First Lesson », CP 211), « But flying » (« Two Legends » CP 217), « Flying from sun to sun, he found this home. » (« The Door », CP 220), « Heavily he flies » (« Crow’s Nerve Fails », CP 232), « Flying the black flag of himself. » (« Crow Blacker Than Ever », CP 244).
- 18« La rhétorique apprêtée de la littérature et même la rhétorique usuelle du parler quotidien semblent toujours quelque peu en fête. Comment dire la vérité de la douleur, sinon en mettant en échec cette fête rhétorique, en la gauchissant, en la faisant grincer, en la rendant contrainte et boiteuse ? » ( Soleil noir 233). Le critique Paul Bentley, citant ce passage de Soleil noir, conclut : « The type of awkward, mangled language to be found in Crow might be the only authentic way of articulating this pain » (Bentley54).
- 19« L’apocalypse qui rit est une apocalypse sans dieu. Mystique noire de l’érasement transcendantal. L’écriture qui en résulte est peut-être la forme ultime d’une attitude laïque, sans morale, sans jugement ni espoir. L’écrivain de ce type, Céline, cette exclamation catastrophique qu’est son style, ne trouvent pas d’appui extérieur où se soutenir. Leur seul appui, c’est la beauté du geste qui, ici, sur la page, contraint la langue à s’approcher au plus près de l’énigme humaine, là où ça tue, pense et jouit en même temps. Parole d’abjection dont l’écrivain est le sujet et la victime, le témoin et la bascule… Bascule dans quoi ? Dans rien d’autre que cette effervescence de passion et de langage qu’est le style, où se noient toute idéologie, thèse, interprétation, manie, collectivité, menace ou espoir… Une beauté brillante et dangereuse, envers fragile d’un nihilisme radical qui ne peut s’évanouir que dans “ces profondeurs pétillantes que plus rien existe”… Musique, rythme, rigodon, sans fin, pour rien » (PH 242).
- 20« Trickster’s development in the primitive cycles is questionable, but the topic should be addressed because of its relevance to Crow’s character. Radin and Jung affirm some degree of development; Kerényi and Greenway do not. […] To Radin, the essence of trickster narratives concerns their relationship to ‘the vague memories of an archaic and primordial past, where there as yet existed no clear-cut differentiation between the divine and the non-divine’ and the promise of differentiation within the trickster symbol itself. For Jung, Trickster, as an archetype of personality development, must per se demonstrate developmental potential. […] Kerényi sees Trickster as the original picaresque hero, the spirit of disorder and revolt who, released in the freedom of a literary work, demonstrates the power of the social order under ridicule. […] Greenway contends that trickster narratives are cathartics to purge the audience of incest and avoidance restrictions and other stern regulations of conduct in primitive societies. The audience laughs at Trickster’s ineptitude, all the while comprehending that such conduct in themselves would doubtless earn exile or death » (Scigaj, 145-6).
- 21Il s’agit d’un compte-rendu donné par le critique Keith Sagar à partir des notes, entretiens, lettres du poète : « Having been created, he’s put through various adventures and disasters and trials and ordeals, a pin-table of casual experiences, and the effect of all these is to alter him not at all, then alter him a great deal, completely transform him, tear him to bits, put him together again, and produce him a little bit changed. He’s man to correct man, but of course, he’s not a man, he is a crow. And maybe his ambition is to become a man, which he never quite manages » (Sagar 174).
- 22« La lecture de Céline nous saisit en ce lieu fragile de notre subjectivité où nos défenses écroulées dévoilent, sous les apparences d’un château fort, une peau écorchée » (PH 159).
Bibliographie
- Bakhtine, Mikhaïl. L’œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance. 1965. Trad. Andrée Robel, Tel, Gallimard, 1988.
- Bentley, Paul. The Poetry of Ted Hughes. Language, Illusion and Beyond. Longman, 1998.
- Faas, Ekbert. Ted Hughes: The Unaccommodated Universe. Black Sparrow Press, 1980.
- Hughes, Ted. Winter Pollen. Occasional Prose [WP]. Ed. William Scammel. 1994. Faber, 1995.
- Hughes, Ted. Collected Poems [CP]. Ed. Paul Keegan, Faber, 2003.
- Hughes, Ted. Letters of Ted Hughes [LTH]. Ed. Christopher Reid, Faber, 2007.
- Kristeva, Julia. Pouvoirs de l’horreur [PH]. 1980. Points Essais, Le Seuil, 2007.
- Kristeva, Julia. Soleil noir. 1987. Folio Essais, Gallimard, 1997.
- Radin, Paul. The Trickster. A Study in American Indian Mythology. Schocken Books, 1972.
- Sagar, Keith. The Laughter of Foxes. A Study of Ted Hughes. 2000. Liverpool University Press, 2006.
- Scigaj, Leonard. The Poetry of Ted Hughes, Form and Imagination. University of Iowa Press, 1986.
About the author(s)
Biographie : Docteure en littératures anglophones et professeure agrégée, Sophie Elzière a soutenu une thèse consacrée à l’œuvre du poète Ted Hughes, intitulée Nuées d’oiseaux et crocus évangiles : Ted Hughes et le poème de l’être complet. Ses recherches se concentrent sur la question de l’accomplissement de l’être et du langage, et interrogent la relation complexe, marquée par la violence ou portée par le dévouement, que le sujet humain entretient avec le monde dans lequel il habite. Elle enseigne l’anglais à l’Université Paris-Nanterre.
Biography: Sophie Elzière has defended a PhD thesis on Ted Hughes’s poetic work, entitled Her research focuses on the notion of the completion of being and of language; she questions a history of violence, sacrifice and devotion, and explores the world depicted by the poet, in which mankind has to learn to wander freely and poetically dwell. She teaches English at Paris Nanterre University, France.